Burtynsky navigue en eaux troubles

12 juillet 2021   •  
Écrit par Anaïs Viand
Burtynsky navigue en eaux troubles

À Montpellier, au Pavillon Populaire, le photographe canadien mondialement connu Edward Burtynsky présente un volet de son œuvre consacré à l’impact de l’homme sur l’environnement, intitulé Eaux troublées. Une exposition signée par le directeur artistique Gilles Mora, et la commissaire, Enrica Viganò, à découvrir jusqu’au 26 septembre.

Pollution, raréfaction, privatisation. L’eau fait l’objet de bien des combats. On le répète suffisamment : il est temps de faire le point sur ce qui menace notre planète, et sur nos responsabilités – en tant qu’êtres humains. « Sans l’eau, nous mourrons », rappelle celui qui ne cesse de photographier les horreurs de nos sociétés de consommation, Edward Burtynsky. Comme tant d’autres, il est un témoin du désastre environnemental. Et comme tant d’autres, il est convaincu que nous sommes entrés dans l’ère anthropocène – nouvel âge géologique marqué par la capacité de l’humain à transformer la Terre. Le photographe canadien a choisi de consacrer son œuvre à l’étude des impacts de l’humanité et de la civilisation sur le paysage naturel. Au Pavillon populaire, à Montpellier, il présente un chapitre dédié à une ressource indispensable : l’eau.

« L’idée de travailler sur l’eau m’est venue en 2007, alors que je photographiais des mines d’or en Australie, le premier pays à se tarir à cette époque. Les infos ne parlaient que d’agriculteurs qui abandonnaient leurs champs desséchés. J’y ai rencontré un photojournaliste qui m’a raconté une aventure qui lui était arrivée dans un bar d’Adélaïde. Il commande une bière et un verre d’eau, boit sa bière, règle l’addition et s’apprête à partir lorsque le barman l’arrête et lui ordonne de finir son verre d’eau. L’eau a soudain pris un nouveau sens pour moi. J’ai réalisé que l’eau, contrairement au pétrole, ne peut pas être abandonnée. » Un an plus tard, il amorce ses recherches et s’interroge quant à la meilleure méthode pour produire et montrer des photographies percutantes sur le sujet.

© Edward Burtinsky / Courtesy Admira, Milan / Nicholas Metivier Gallery, Toronto

Faire partie de l’œuvre

Car pour Edward Burtynsky, le fond importe autant que la forme. Alors, durant tout son processus de création, il s’entoure d’experts en tout genre – scientifiques, géographes, et autres artistes multimédias. Une équipe de repérage qui se rend aux quatre coins du monde. Puis vient le temps de la prise de vue. En plongée. « Il me fallait m’élever, prendre de l’altitude et gagner une perspective plus aérienne », précise l’auteur, qui a la folie des grandeurs. Car pour rendre hommage aux endroits inconnus ou oubliés, abimés suite au passage de l’Homme, il utilise des grues et autres systèmes d’élévation dernier cri. Au Pavillon Populaire, il a choisi d’en mettre plein la vue au public : 52 tirages grands formats pouvant atteindre les deux mètres de large nous happent. Une manière pour l’artiste – doté d’un grand sens du détail – de développer une « expérience d’immersion où les gens disent qu’ils font partie de l’œuvre ».

Mais ils ne doivent pas pour autant l’aimer. Tel Baudelaire, Edward Burtynsky travaille une esthétique particulière de séduction/répulsion. « Ces images invitent une forme d’adoration, tout en générant une détestation de par leur contenu », confirme Gilles Mora, le directeur artistique du Pavillon avant de poursuivre « les photos de Burtynsky ne cherchent pas la pitié, elles sont plutôt le résultat de son engagement politique et idéologique. Elles possèdent une visée pédagogique ». Sept sections intitulées Golfe du Mexique, Désolation, Contrôle, Agriculture, Aquaculture, Au bord de l’eau, et Source emportent le visiteur en Inde, en Chine, aux États-Unis, au Canada, aux Pays-Bas, en Espagne. On y découvre des endroits pollués, et les méfaits de mauvaises politiques de gestion de l’eau et de la surconsommation – aux États-Unis, 80 % de la consommation totale d’eau est liée à l’agriculture. Les motivations économiques ou spirituelles des humains viennent compléter ce désastreux panorama. Aucun doute, l’eau est un sujet ô combien complexe, et le dernier volet de cette exposition, Source, le confirme. l’eau comme tant d’autres éléments de la nature, peut être « le début et la fin de tout ».

Ceux qui oublient que le monde va mal ne peuvent rester indifférents à l’issue de la visite. Pour les autres, une conviction ou plutôt une question viendra hanter leurs esprits

comment l’effroyable peut-il être aussi sublime ?

© Edward Burtinsky / Courtesy Admira, Milan / Nicholas Metivier Gallery, Toronto© Edward Burtinsky / Courtesy Admira, Milan / Nicholas Metivier Gallery, Toronto

© Edward Burtinsky / Courtesy Admira, Milan / Nicholas Metivier Gallery, Toronto© Edward Burtinsky / Courtesy Admira, Milan / Nicholas Metivier Gallery, Toronto© Edward Burtinsky / Courtesy Admira, Milan / Nicholas Metivier Gallery, Toronto© Edward Burtinsky / Courtesy Admira, Milan / Nicholas Metivier Gallery, Toronto

© Edward Burtynsky / Courtesy Admira, Milan / Nicholas Metivier Gallery, Toronto

Explorez
Hommage à Sebastião Salgado, humaniste soucieux de la nature
© Fisheye Magazine
Hommage à Sebastião Salgado, humaniste soucieux de la nature
Sebastião Salgado est décédé ce vendredi 23 mai 2025 à l’âge de 81 ans. Tout au long de sa carrière, le photographe a posé un regard...
26 mai 2025   •  
Écrit par Eric Karsenty
Dans l’œil d’Aletheia Casey : le rouge de la colère et du feu
© Aletheia Casey
Dans l’œil d’Aletheia Casey : le rouge de la colère et du feu
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil d’Aletheia Casey, dont nous vous avons déjà parlé il y a quelques mois. Pour Fisheye, elle...
28 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les images de la semaine du 21 avril 2025 : la Terre à l’honneur
© Thomas Amen
Les images de la semaine du 21 avril 2025 : la Terre à l’honneur
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye célèbrent la Terre. Dans des approches disparates, les photographes évoquent...
27 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Rephotographier les monts Uinta pour montrer que le changement climatique s’accélère
© William Henry Jackson, 1870 et Joanna Corimanya, Anahi Quezada, et Town Peterson, 2024.
Rephotographier les monts Uinta pour montrer que le changement climatique s’accélère
En septembre 2024, le géologue Jeff Munroe et l’écologiste Joanna Corimanya entreprenaient un trek de 50 kilomètres dans la toundra des...
23 avril 2025   •  
Écrit par Thomas Andrei
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Le  7 à 9 de CHANEL, les visages pluriels d’Omar Victor Diop
© Omar Victor Diop
Le 7 à 9 de CHANEL, les visages pluriels d’Omar Victor Diop
Troisième invité du cycle "Le 7 à 9 de CHANEL", le photographe sénégalais Omar Victor Diop a offert au public du Jeu de Paume un moment...
30 mai 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Huá biàn : quand la musique se rebelle
Love, de la série Huá biàn © Agathe Veidt
Huá biàn : quand la musique se rebelle
Agathe Veidt saisit la fête et les chants de révolte au cœur d’une boîte de nuit de renom à Shenzhen. De retour en France, elle tricote...
29 mai 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Sidewalk Stills, les déchets des marchés de Charles Negre
Sidewalk Stills © Charles Negre
Sidewalk Stills, les déchets des marchés de Charles Negre
Dans Sidewalk Stills, le photographe français Charles Negre offre un regard sensible sur les déchets qui parsèment les sols des marchés...
29 mai 2025   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Thomas Paquet : « imposer une économie de gestes »
© Thomas Paquet. Vignettage
Thomas Paquet : « imposer une économie de gestes »
À l’occasion du Paris Gallery Weekend, la Galerie Thierry Bigaignon présente, jusqu’au 31 mai 2025, une exposition personnelle de...
29 mai 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche