« Prophetic Kingdom » ou le monde d’après

05 octobre 2021   •  
Écrit par Julien Hory
« Prophetic Kingdom » ou le monde d’après

Avec Prophetic Kingdom, sa première monographie à paraître aux éditions Daylight, Martin Buday présente une série de paysages en forme de vision. Dans ces décors désertiques pourrait se loger le monde de demain. Celui qui surgira quand nous aurons fini de l’épuiser.

Quel est le pouvoir révélateur de la photographie ? Comment un médium aussi puissant dans sa représentation du réel peut-il aller au delà de ce que nous voyons ? Ces interrogations se trouvent au cœur de Prophetic Kingdom, la prochaine monographie de Martin Buday. Ce projet, débuté alors que l’artiste américain poursuivait des études d’art, a évolué durant près de 20 ans. C’est à l’université qu’il découvre les photographes de la New Topographics – des artistes présents dans l’exposition du même nom organisée en 1975, qui, en donnant à voir des lieux modifiés par la volonté humaine, redéfinissait les codes de la photographie de paysage. Un évènement qui bouleverse la notion de représentation du territoire et marque durablement toute une frange de photographes qui, encore de nos jours, revendique son héritage.

Cette influence est bien perceptible dans les images qui composent Prophetic Kingdom. Les clichés offrent des panoramas déserts, où notre espèce, si elle a laissé sa trace, ne semble plus avoir de place. Des terrains cachés ou oubliés que Martin Buday a su redécouvrir. Une aptitude à dénicher des lieux insolites, à y deviner ce que d’autres ne verraient pas qu’il doit en partie à sa pratique du skateboard. « À l’adolescence, je suis devenu obsédé par ce sport, confie-t-il. Ce fut le début de ma fascination pour les endroits ignorés des villes et des banlieues, des “spots” que seuls les skaters trouvaient attrayants pour leur potentiel. Cela a aiguisé mon œil et m’a permis de regarder différemment. » Une initiation à la photographie de rue pour le moins originale, que Martin Buday saura mettre à profit dans sa pratique personnelle du 8e art.

© Martin Buday

La chute des Hommes

En pleine pandémie Martin Buday a senti la nécessité de conceptualiser ce travail de longue haleine, de lui donner du sens en construisant une histoire. C’est à ce moment que l’intitulé de sa première monographie lui est venu. « Le projet a eu plusieurs appellations, se souvient le photographe. C’est en tombant sur un petit centre religieux du Delaware rural, nommé Prophetic Kingdom Ministries, que l’idée a surgi. Ce titre s’est imposé à moi et il me semblait juste. Cela m’a aidé à reconsidérer mon travail. La notion de prophétie dans le paysage quotidien m’a beaucoup plu. » Il imagine alors un monde post-lapsarien (le lapsarianisme est l’ensemble des doctrines qui décrivent l’ordre théorique des décrets de Dieu, en particulier ceux liés à la chute de l’homme, NDLR) dans lequel une grande famine dévore la terre, après une période de surabondance. Une catastrophe qui provoque la chute des hommes.

Et, pour raconter son histoire, Martin Buday emploie un ensemble de motifs récurants. « Je suis attiré par une certaine simplicité des formes, des teintes et des couleurs. J’ai voulu que les images se répondent, qu’une chaîne invisible les lie entre elles, explique-t-il. Mais je ne cherche pas de suite logique, je préfère que cela fonctionne de façon tentaculaire et sinueuse. J’aime qu’en regardant mes images, on en reconnaisse une autre. Dans ce labyrinthe de temps, c’est comme si une conversation était en cours. » Ce montage non linéaire imaginé en séquences et cette unicité des couleurs rappellent certains procédés cinématographiques. Et pour cause, le photographe n‘hésite pas à évoquer Wim Wenders (notamment le film Paris, Texas) et David Lynch parmi ses principales influences. Ses paysages apparaissent alors comme des décors qui n’attendent que le tournage.

© Martin Buday

Une forme de méditation

Si ses images sont des allégories du monde, quel serait le pouvoir prophétique de la photographie, elle qui semble fixer le temps ? Martin Buday propose une explication à cette question empreinte de philosophie : « Je crois qu’il existe certains modèles dans la nature qui, petit à petit, émergeront, imagine-t-il. Des indices du passé qui nous informeront sur les évènements futurs. Des choses autrefois cachées deviendront visibles. Un cliché peut s’inscrire tout à la fois dans le présent, le passé et l’avenir. J’ai toujours pensé que la photographie devait être pratiquée et appréciée comme une forme de méditation. »

Mais on découvre une autre nappe plus subtile, presque imperceptible dans Prophetic Kindom. Car l’ouvrage questionne également notre rapport à la réalité et la véracité que nous accordons aux images. Pour Martin Buday, la photographie semble coller au monde, aux événements concrets tout en leur offrant une temporalité presque infinie. « Le pouvoir descriptif de ce médium est époustouflant. Il fige des instants fugaces de la vie et les prolonge aussi longtemps qu’on les regarde. Mais je pense que si nous contemplons assez longuement ces images, nous pouvons y déceler une vérité plus grande », conclut-il.

Prophetic Kingdom, Daylight Books, 45$ , 112 p.

© Martin Buday© Martin Buday© Martin Buday© Martin Buday© Martin Buday© Martin Buday© Martin Buday

© Martin Buday

Explorez
Chaumont-Photo-sur-Loire, une 7ᵉ édition où la  poésie tutoie l'engagement écologique
Décolorisation, 2024 © Letizia Le Fur, courtesy Galerie Julie Caredda – Paris
Chaumont-Photo-sur-Loire, une 7ᵉ édition où la poésie tutoie l’engagement écologique
Sur les bords de Loire, dans l’idyllique domaine du château de Chaumont-sur-Loire, se sont installées cinq expositions qui célèbrent la...
23 novembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Cloé Harent remporte le grand prix Tremplin Jeunes Talents 2024 !
© Cloé Harent
Cloé Harent remporte le grand prix Tremplin Jeunes Talents 2024 !
Cette année, le jury de Planches Contact a décoré Cloé Harent du grand prix Tremplin Jeunes Talents qui, comme son nom le suggère...
14 novembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
La nature infestée de Claudia Fuggetti
Metamorphosis © Claudia Fuggetti
La nature infestée de Claudia Fuggetti
Dans Metamorphosis, Claudia Fuggetti compose les interférences artificielles qui existent entre le monde humain et la nature. Sa...
13 novembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Sabatina Leccia et Clara Chichin : au cœur de la ville, un jardin à préserver
© Clara Chichin et Sabatina Leccia / Lucie Pastureau
Sabatina Leccia et Clara Chichin : au cœur de la ville, un jardin à préserver
Jusqu’au 25 janvier 2025, les œuvres de Sabatina Leccia et Clara Chichin se dévoilent sur les cimaises de la Galerie XII. Intitulée Le...
13 novembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les images de la semaine du 18.11.24 au 24.11.24 : un cycle d’existence
© Eimear Lynch
Les images de la semaine du 18.11.24 au 24.11.24 : un cycle d’existence
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye esquissent les contours d’un cycle d’existence pétri de souvenirs et...
Il y a 9 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Chaumont-Photo-sur-Loire, une 7ᵉ édition où la  poésie tutoie l'engagement écologique
Décolorisation, 2024 © Letizia Le Fur, courtesy Galerie Julie Caredda – Paris
Chaumont-Photo-sur-Loire, une 7ᵉ édition où la poésie tutoie l’engagement écologique
Sur les bords de Loire, dans l’idyllique domaine du château de Chaumont-sur-Loire, se sont installées cinq expositions qui célèbrent la...
23 novembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Marie Le Gall : photographier un Maroc intime
© Marie Le Gall
Marie Le Gall : photographier un Maroc intime
Absente depuis vingt ans, lorsque Marie Le Gall retourne enfin au Maroc, elle découvre un territoire aussi étranger que familier....
22 novembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Aleksandra Żalińska rend un tendre hommage à sa grand-mère
© Aleksandra Żalińska
Aleksandra Żalińska rend un tendre hommage à sa grand-mère
À travers But please be careful out there, Aleksandra Żalińska photographie sa grand-mère, avec qui elle entretient une grande...
22 novembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas