Cette semaine au micro de Regardez voir, Brigitte Patient reçoit la photographe Véronique de Viguerie. Alors que son exposition à Houlgate se termine le 31 août, toutes deux reviennent sur la carrière de la photoreporter primée l’an passé à Visa pour l’image.
Récompensée en 2018 par le Visa d’or du festival international du photojournalime de Perpignan, Véronique de Viguerie rêvait à l’origine d’une carrière militaire. Ses parents n’envisageant ce chemin que par les concours d’officier, elle se dirige vers un master de droit. Très vite, elle revient sur ses ambitions et, fille de photographe amateur, décide de se tourner vers le 8e art. « Mon père avait un studio de développement dans le garage et que j’ai ressorti. Je me suis amusé à développer mes photos très jeune », se souvient-elle.
Elle part ainsi en Angleterre afin de suivre une école de photojournalisme. Influencée par le travail de Sebastião Salgado et d’Alexandra Boulat, elle rejoint très vite des zones de conflits. C’est le journal où elle effectue son stage de fin d’études, le Lincolnshire Echo, qui lui donnera sa première expérience, en Afghanistan. Elle tombe alors amoureuse du pays. Une fois ses études terminées, elle décide d’y repartir pendant trois ans. Là-bas, elle devient photographe indépendante. Depuis maintenant treize ans, elle travaille en binôme avec Manon Quérouil-Bruneel : l’une écrit, l’autre capte les images. Ensemble, elles ont parcouru la Syrie, l’Irak, le Nigeria, ou encore le Yémen.
Des Robin des bois
Dans ses photographies, comme souvent dans le photoreportage, la légende joue un rôle primordial. Une image de deux femmes en burka armée de kalachnikov et avançant d’un pas décidé peut vite apparaître comme une attaque. Comme l’explique Véronique de Viguerie, il n’en est rien : « Les deux femmes sur la photo font partie de la première unité de femmes policières d’Afghanistan, mise en place en 2007 dans le sud du pays. L’apparition de ces unités de police féminines a permis une vraie prise en charge des cas de femmes battues. »
En 2009, elle dirige son objectif vers les combattants du MEND (Mouvement d’Émancipation du Delta du Niger). Ces groupes armés rackettent les compagnies pétrolières qui détruisent le pays et exploitent la population locale. Pour elle, ils sont un peu comme des Robin des bois. Sa rencontre avec Ateke Tom va lui offrir une autre réalité. Ce dernier, aujourd’hui au gouvernement, a semblé avoir un sens très personnel de la répartition des butins. En danger, Manon Quérouil-Bruneel et elle devront s’enfuir lorsque le chef décide de les garder près de lui et d’épouser l’écrivaine.
Les images qui hantent
Lorsqu’on est photoreporter, qu’on recherche l’instant, on doit aussi apprendre à vivre avec les photographies qui ne se font pas. « Les images qui restent, explique Véronique de Viguerie, les images qui hantent, sont celles que l’on n’a pas pu prendre. Une fois que l’image est capturée, j’ai l’impression qu’elle est digérée. » La première photo qui restera gravée en elle est celle d’un homme portant un sac à patates dont s’échappent trois petites jambes. L’homme s’en va enterrer des enfants décédés dans un violent tremblement de terre, dans le nord du Pakistan, en 2006. En état de choc, elle ne pourra pas prendre la photo.
Cette histoire pose la question de la distance. Devant les images des photoreporters, témoins essentiels et nécessaires des maux du monde, on peut parfois se demander où est la place des sentiments. Mais il ne faut pas croire que les auteurs de ces images sont insensibles, bien au contraire. « J’ai fait beaucoup de photos en larmes, confie Véronique de Viguerie. Nous ne sommes pas des machines. Parfois on doit prendre des photos et on se déteste de la prendre parce qu’on se dit que ce n’est pas respectueux face à la personne qui nous raconte son drame. » Mais, quelle que soit la dureté des images, elle se refuse à une vision binaire du monde. Le manichéisme est, pour elle, une forme perverse de déshumanisation des conflits.
© Véronique de Viguerie