À Arles, On Country explore le lien vital entre terre, mémoire et futur. Cette plongée sensible dans la photographie australienne, entre voix autochtones et non autochtones, témoigne des regards contemporains sur le monde de demain. L’exposition est à découvrir jusqu’au 5 octobre 2025 à l’église Sainte-Anne.
Au cœur des Rencontres d’Arles 2025, cette première grande exposition consacrée à la photographie australienne réunit dix-sept artistes et collectifs. Autant d’identités, de voix, d’approches – autochtones et non autochtones – reliées par un fil commun : le lien à la terre. Country, au sens aborigène, ne parle pas seulement de territoire, mais aussi de mémoire, de spiritualité, d’enjeux politiques et de responsabilité envers le futur. Elias Redstone, commissaire et directeur artistique de PHOTO Australia, affirme : « Cette exposition amplifie la diversité et la profondeur des artistes australiens sur une scène mondiale prestigieuse. » Le parcours, également conçu par Kimberley Moulton (peuple Yorta Yorta), Pippa Milne et Brendan McCleary, trace un sillon pour les yeux, ouvre des résonances pour les oreilles. Rien n’est crié, tout se dépose.
« L’Australie est faite de centaines de nations aborigènes et insulaires, avec des relations complexes à la terre, à l’eau, au ciel, et des savoirs incarnés qui relient passé, présent et futur. C’est ce que nous appelons Country. »
Des œuvres qui tissent la vie d’un continent
Bien loin de nous et pourtant si proche de notre réalité, où les mêmes enjeux sociétaux et culturels nous animent et nous parlent, ce voyage touche et donne la sensation d’avancer, avec cette force née de l’idée qu’il reste des chemins à tracer. Kimberley Moulton, commissaire invitée, rappelle : « L’Australie est faite de centaines de nations aborigènes et insulaires, avec des relations complexes à la terre, à l’eau, au ciel, et des savoirs incarnés qui relient passé, présent et futur. C’est ce que nous appelons Country. »
Dès l’entrée, la série Warakurna Superheroes, imaginée par Tony Albert (Kuku Yalanji) et photographiée par David Charles Collins avec les enfants de Warakurna, donne le ton. Force joyeuse : ces derniers posent en super-héros inventés, vêtus de bouts de tissus et de masques improvisés. L’un de ces portraits est devenu l’affiche du festival. Plus loin, Capemba Bumbarra déploie un cyanotype monumental de 38 mètres de soie bleue suspendue, imaginé par Sonja Carmichael et Elisa Jane Carmichael (Ngugi/Quandamooka). Le ruban traverse l’église comme une rivière flottante, mêlant tressage traditionnel à ce procédé ancien par réaction aux UV. Il suit le cours de l’eau douce – source, brousse, mangroves, océan – comme un récit transmis de génération en génération.
Entre rituels, mémoire et flamboyance queer
Puis vient Ritual and Ceremony de Maree Clarke (Yorta Yorta/Wamba Wamba/Mutti Mutti/Boonwurrung). Au cœur d’une série de portraits en noir et blanc, un visage s’impose : Uncle Jack Charles, acteur et doyen disparu. Il fait trois mètres de haut, est peint à l’ocre blanc, témoigne d’un regard profond, d’une mémoire vibrante, d’une dignité immense. À cette solennité répond l’exubérance des autoportraits du duo The Huxleys, composé de Will et Garrett Huxley (Gumbaynggirr/Yorta Yorta). Glam queer, paillettes, poses outrancières : un feu d’artifice qui brouille les lignes du genre, théâtral mais juste. Chaque œuvre trouve sa place. Lisa Sorgini capte les liens maternels dans des scènes suspendues. James Tylor (Kaurna) travaille l’absence : cadres manquants, vides qui racontent l’effacement colonial. Tout se joue en marge, jamais frontalement.
Un territoire habité, pas seulement traversé
Dernière arche, un souffle nous renverse : les portraits de Brenda L Croft (Gurindji/Malngin/Mudburra) dialoguent avec les voix du chœur Djinama Yilaga, qui chante en menero ngarigo et dhurga yuin. Le son emplit la nef ; passé et présent se confondent. Les visages demeurent muets, mais la tension entre image et chant bouleverse. Autour, d’autres artistes complètent le tableau : Atong Atem, Ying Ang, Michael Cook (Bidjara), J Davies, Liss Fenwick, Adam Ferguson,Robert Fielding (Yankunytjatjara/Western Arrernte), Ricky Maynard (Pakana), Tace Stevens (Noongar/Spinifex), Wani Toaishara, James Tylor. Chacun apporte sa voix, sa manière d’habiter l’image. Tous convergent vers un même horizon : un territoire vécu. L’exposition On Country dépasse le paysage ; elle touche au politique, à l’intime, au poétique. Elle ne cherche pas à convaincre ; elle ouvre un espace d’écoute et d’attention. Conversation multiple et vivante, où chaque œuvre laisse une trace. On traverse, on ressent. Et longtemps après la sortie, les voix du chœur Djinama Yilaga résonnent encore.