Maxime Matthys, artiste belge de 25 ans, est fasciné par les nouvelles technologies et l’importance qu’elles prennent dans notre quotidien. Sa nouvelle série, Les Jocondes, interroge la place de l’intelligence artificielle dans l’art contemporain. Une réflexion déroutante menée avec talent. Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.
Pendant quarante ans, Hélène et Wolfgang Beltracchi ont vendu, pour des dizaines de millions d’euros, de fausses toiles de Raoul Dufy, Georges Braque ou Max Ernst. Arrêté et condamné en 2010, le couple vit aujourd’hui en Suisse. Le 25 octobre 2018, un nouveau scandale éclate à New York. Lors d’une vente aux enchères chez Christie’s, le Portrait d’Edmond de Belamy – premier tableau créé par un algorithme (lui-même conçu par le collectif français Obvious) – a été vendu 432 500 dollars (environ 354 000 euros). Étonnement et indignation dans la salle ! Pour créer ce Portrait d’Edmond de Belamy, le système informatique a été « nourri » par quelque 15 000 portraits réalisés entre les XIVe et XXe siècles. « C’est en se basant sur cette gigantesque base de données que la machine a composé une pièce unique répondant aux codes esthétiques des peintures qui lui ont été soumises. Ce procédé technologique utilisé par les artistes peut faire penser aux procédés des grands faussaires d’art. Pour ne pas se faire prendre, la plupart d’entre eux ne copient pas directement un tableau, mais préfèrent reproduire le style d’un artiste. L’idée étant de créer une nouvelle pièce unique », explique le photographe Maxime Matthys.
Cette vente a été le déclencheur de sa série Les Jocondes, en référence à l’œuvre la plus connue et la plus copiée au monde – on dénombre une quinzaine de Joconde ou de Portrait de Mona Lisa dans les musées français. Un intérêt pour le sujet qui est sans doute générationnel. « Je suis né en 1995, et j’ai vu l’évolution incroyablement rapide des nouvelles technologies. Je suis fasciné par la place qu’elles prennent dans l’économie et la société, confie l’artiste. Comment expliquer cette disruption systématique de nos sociétés par ces technologies ? Comment reprendre le contrôle et éviter une dépendance avec les machines ? J’ai réalisé que les processus de production d’un grand nombre d’œuvres utilisant l’intelligence artificielle (IA), et notamment les réseaux GAN (Generative Adversarial Netwoks) se ressemblaient beaucoup du fait du fonctionnement même de cette technologie. On se retrouve ainsi avec de nombreuses œuvres qui racontent toutes un peu la même chose. »
Générer du langage
C’est dans le cadre du programme Factory, développé par la Résidence 1+2 à Toulouse, que Maxime Matthys a entraîné une machine d’IA sur une base de données composée d’une centaine de peintures marquantes de l’histoire de l’art. « À un détail près, s’amuse le photographe, les œuvres utilisées par la machine ont exclusivement été réalisées par les plus grands faussaires de l’histoire, tels qu’Hélène et Wolfgang Beltracchi, Han van Meegeren ou Tom Keating. » Dans cette entreprise, il se rapproche d’un algorithme très puissant, et de Tim Van de Cruys – professeur détaché du CNRS à l’université de Louvain, en Belgique, et spécialisé dans le traitement automatique des langues. Ce dernier étudie la façon dont les ordinateurs peuvent
générer du langage. Il maîtrise, par ailleurs, le modèle GAN. « Le générateur va créer une image de manière aléatoire que le discriminateur va comparer à une production existante, afin de déterminer laquelle est vraie, ou fausse. Les deux sous-réseaux vont ensuite optimiser leur performance. Le générateur “veut concevoir” une image qui trompe le discriminateur, tandis que le discriminateur “veut dévoiler” le premier sous-réseau, et “prédire” au mieux laquelle est factice. À la suite de cette compétition, le générateur va concevoir des productions de plus en plus réalistes », explique-t-il. Avec pour résultat une imitation numérique.
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #45, en kiosque et disponible ici.
© Maxime Matthys