Fisheye : Comment est née l’idée de ce reportage ?
Thomas Vanden Driessche : Ce reportage est né en deux temps. La première fois, j’étais envoyé par un magazine pour photographier un bâtiment à Dampremy, une commune de Charleroi, derrière le périphérique. J’ai été frappé par la force visuelle des lieux. C’était en été, il y avait plein de gens sur le pas de leur porte, ça avait un air de Sud. J’ai eu envie d’y retourner. D’abord timidement, pour faire du paysage. Puis, au fur et à mesure, en assistant à des événements étranges comme Halloween, j’ai eu envie de photographier les habitants dans leur contexte.
Tu parles effectivement du Sud dans ton texte de présentation…
Oui, une grande partie de la population de Charleroi est italienne. La première vague d’immigrés est venue pour travailler dans les mines, la deuxième était plutôt turque et un peu marocaine. Dans le cimetière de Dampremy, tous les noms sont italiens.
Quel est le sens de ton travail ?
Comme dans une tragédie classique, j’aimerais que mon travail ait une portée universelle. Je souhaite montrer comment les habitants d’une petite ville frappée de plein fouet par la crise économique continuent à aller de l’avant, d’être humains et d’avoir une certaine dignité. Malgré une situation difficile au quotidien, malgré l’image qu’on leur donne. Car c’est un coin de Belgique qui a souvent été décrié pour sa criminalité et sa dangerosité. Et puis il y a ce jeu sur l’unité de lieu, le territoire est intéressant parce qu’il est entouré de trois terrils.
Tu as travaillé sur ce sujet durant trois ans ?
Oui, par intermittence. Dès que j’avais un peu de temps libre, une journée par-ci par-là. Je n’ai jamais eu l’occasion d’y passer des semaines complètes. Et maintenant, après deux ans d’arrêt de photo, je relance le projet pour essayer d’aller plus loin en explorant de nouveaux sujets, comme la communauté musulmane de Dampremy.
Au cours de ce reportage, qu’est-ce qui a transformé ton regard sur ce lieu ?
À Dampremy, comme sur le reste de Charleroi, j’ai l’impression de voir l’histoire de la Belgique. Là-bas, l’histoire est bien plus présente qu’ailleurs. Dans les cafés je rencontre des anciens mineurs, et des choses qui me semblent être d’un autre temps.
Quelle était ton ambition avec ce sujet ?
L’industrie est fort présente en Belgique, et c’est une partie importante de l’histoire du pays. Ma volonté c’est de travailler sur un territoire, celui de Charleroi dans un premier temps, mais aussi de réfléchir autrement à la photographie. Il y a le jeu des panoramiques, le jeu des saisons pour donner un rythme et essayer d’aller un peu plus loin…
Comment expliques-tu cette distance qu’il y a dans tes images ?
Le fait de photographier au 6×7 avec un objectif unique 80 mm impose déjà une certaine distance. Ensuite, je discute avec les gens, mais je ne suis pas intrusif, je me laisse un peu porter par les rencontres. Enfin j’ai découvert la photographie sur le tard, à travers un bouquin réalisé par des photographes de l’agence VU’, qui travaillaient tous en argentique et au moyen format. Ces photos m’ont touché. Alors j’ai voulu moi aussi travailler de cette façon.
Pourquoi avoir proposé ce reportage sans légendes ?
Je n’ai pas envie de raconter l’histoire de chacune des personnes photographiées. Dans ce travail, il y a des petites ambiguïtés qui me plaisent et qui disparaîtraient si j’expliquais la situation. Comme pour cette photo d’une petite fille déguisée pour Halloween. Ça rend le sujet intrigant et étrange – comme le laisse entendre le titre de l’exposition – mais pas totalement hermétique.