Dans Sand Castles, Markel Redondo capture à l’aide d’un drone les ruines espagnoles de chantiers inachevés et laissés à l’abandon. Un projet documentaire où l’aspect artistique envoûte notre regard. Cet article est à redécouvrir dans notre dernier Fisheye.
Baignant dans une atmosphère énigmatique, les prises de vues aériennes de Markel Redondo se succèdent et hypnotisent. Le portrait d’un univers dystopique se dessine rapidement : des piscines vides, une nature écorchée, des murs démolis et, surtout, une absence totale de vie… Alors qu’elles dégagent une esthétique graphique puissante, ces images racontent une tout autre histoire : celle de la crise économique espagnole de 2008. À cette époque, le photographe réalise un reportage dans le sud de l’Espagne et découvre un lotissement inachevé, à l’abandon, dans un village de la province de Cadix. Il met à profit plusieurs commandes au sujet de cette crise – pour des médias comme Le Monde et le New York Times ou des associations comme le Secours catholique – afin d’explorer d’autres lieux similaires du pays dont il est originaire. « C’est ainsi qu’a débuté la première partie du projet, dans laquelle j’ai photographié des lotissements, des routes, des aéroports, des gares, à différents degrés d’abandon. Le nombre de ces ruines était alarmant. Leur état, parfois “neuf”, était sidérant. Lorsque j’ai terminé cette partie, j’ai toujours pensé revenir photographier ces lieux des années plus tard pour voir ce qu’ils étaient devenus, comment ils avaient évolué », se rappelle le photographe et vidéaste membre de l’agence Panos Pictures.
Le paradis manqué
Une décennie plus tard, en 2018, Markel Redondo prend de la hauteur afin de réaliser la deuxième partie du projet intitulé Sand Castles [Châteaux de sable]. Grâce à une bourse du British Journal of Photography, il capture des images aériennes à l’aide d’un drone pour suivre l’évolution des ruines qui hantent le paysage espagnol. Ce procédé offre un nouveau point de vue et permet à l’auteur de saisir l’impact de ces épaves de béton. « L’utilisation du drone était fondamentale pour comprendre la répercussion de ces constructions sur le pays. Elles ne contiennent pas d’histoires, de sentiments ni de murmures du passé. Au contraire, elles montrent les squelettes de constructions où il n’y a jamais eu de vie, explique le photographe. Ce sont des mirages de l’avidité humaine où l’on ne trouve ni désir ni douleur, mais seulement l’impression d’être les derniers habitants de la Terre. » Titulaire d’un master en photojournalisme réalisé entre la Chine et l’Angleterre, Markel Redondo a également suivi des études en philosophie. Outre le caractère documentaire de cette série, il s’agit pour le photographe d’un travail introspectif, sur lui-même et sur ce pays qui l’a vu naître.
Dénués de toute âme et laissés à l’abandon depuis de nombreuses années, ces paysages à l’esthétique fascinante résultent d’une récession brutale de l’économie espagnole à la fin des années 2000. Pour mieux comprendre l’histoire de cette descente aux enfers, retournons en 1975, date du décès du général Franco, le dictateur qui dirigea le pays d’une main de fer durant quatre décennies. Sa disparition permit le retour d’un régime démocratique. Dans ces années 1980 et 1990 de renaissance, marquées par un bel essor économique, le pays investit massivement sur le secteur immobilier. Les économistes évoquaient alors une « bulle immobilière » et un « miracle économique espagnol ». Véritable spéculation, cette bulle multipliait par trois de la valeur des bâtiments ! À cette expansion, il fallait ajouter l’importance du tourisme. « Devenu un modèle d’économie de marché, le pays attirait des milliers d’Européens fortunés, alléchés par la promesse de résidences secondaires abordables sous la chaleur du soleil espagnol », précise Markel Redondo. Les projets de chantiers se sont intensifiés autour des grandes villes et des zones côtières, grâce aux crédits bon marché proposés par les banques. « La culture de la propriété privée, encouragée pendant les périodes de prospérité économique, était un rêve qui semblait également réalisable pour de nombreux Espagnols », ajoute le photographe désormais installé à Biarritz. Les infrastructures commencent alors à sortir de terre, dans le but d’édifier un petit paradis ensoleillé.
La suite de cet article est à retrouver dans le Fisheye numéro 59.
© Markel Redondo