Jacqueline Salmon vise au-dessous de la ceinture

04 juillet 2022   •  
Écrit par Eric Karsenty
Jacqueline Salmon vise au-dessous de la ceinture

La photographe au parcours atypique et autrice de nombreux projets risque de désarçonner une partie du public avec son nouveau travail consacré au périzonium, le voile de pudeur qui recouvre les parties intimes du Christ. Le musée Réattu présente, dans le cadre du programme Arles associé, une exposition sur ce point aveugle de la représentation qui a mobilisé l’artiste durant ces cinq dernières années.

Tout a commencé avec une invitation du musée des Beaux-Arts de Lyon à réfléchir sur la question de la représentation du drapé. Jacqueline Salmon, originaire de Lyon, la ville des canuts (les ouvriers tissant la soie sur de grands métiers à tisser), ne s’était jamais intéressée à la question jusqu’à ce qu’elle retrouve une carte postale du musée du Prado représentant La Descente de Croix de Van der Weyden. « Une carte que j’ai depuis des années, mais… Je n’avais jamais regardé attentivement le drapé du linge de pudeur qui entoure les reins », confie la photographe. Tirant le fil de ses recherches pour l’étendre à l’ensemble des représentations religieuses artistiques, en peinture comme en sculpture, la Lyonnaise prend conscience que ce morceau de tissus n’a, étonnamment, jamais été étudié par les historiens de l’art. Pourtant présent au cœur de milliers d’œuvres au cours des siècles, il représente une forme de « point aveugle » (en référence à la tâche de Mariotte qui est le seul endroit de la rétine qui ne voit pas), et questionne de fait notre désir de voir, et par là, la photographie.

© Le point aveugle / Variation sur la Crucifixion, Italie XIVe siècle

© Le point aveugle / Variation sur la Crucifixion, Italie XIVe siècle

Échapper à la contemplation du tableau

Dès lors, Jacqueline Salmon n’a eu de cesse d’arpenter les musées du monde, les livres et toutes sortes de documentation afin de cadrer avec son regard et sa culture d’artiste ce que ce bout de tissu nous racontait au fil des siècles. Car « le recadrage de l’œuvre met en évidence ce qui échappe à la contemplation du tableau ou de la sculpture, explique l’artiste. Il s’agissait de faire une image qui me satisfasse plus que l’œuvre originale ». Confiant même que pour elle, « la photo est meilleure que le tableau ».

Cette traversée de l’histoire de l’art, du 4e siècle au 20e siècle, s’impose de fait comme l’étude la plus poussée jamais réalisée sur le sujet. « En retraçant les différentes façons dont il a été dessiné, peint ou sculpté, l’artiste constitue une collection inédite de spécimens de drapés, analyse Andy Neyrotti, commissaire de l’exposition. Par ce biais, elle nous montre à quel point le périzonium, objet qui cache autant qu’il attire l’attention sur une partie délicate de l’anatomie, est un puissant révélateur des mentalités artistiques et religieuses des sociétés occidentales face à la représentation du corps christique. » De fait, la photographe nous entraine, selon la jolie formule d’Andy Neyrotti à « une singulière histoire de la mode. Jupes portefeuilles, minijupes des années 60, paréos tahitiens, sarongs malais, fundoshis japonais, culottes bouffantes enfantines, tabliers de serveurs… », le commissaire s’amuse à énumérer avec gourmandise « les échancrures vertigineuses, les nœuds spectaculaires (et presque obscènes) les envolées de tissus défiant les lois de la gravité… »

© Le point aveugle / Raphaël / Holbein

© Le point aveugle / Raphaël / Holbein

Décomposer pour mieux recomposer

Cette enquête visuelle se matérialise par un atlas des images qui se déploie tout au long de l’exposition, structurée de manière chronologique. Tout comme l’imposant livre qui l’accompagne et qui permet de poursuivre plus avant cette exploration inédite au travers des images collectées par l’artiste qui, « en cadrant, tranchant, découpant, décompose pour mieux recomposer », conclut Sébastien Allard, conservateur général du Patrimoine, directeur du département des peintures du musée du Louvre.

 

Jacqueline Salmon, Le point aveugle, périzoniums, études et variations, Coédition musée Réattu et Silvana Editoriale, 35 € 304 p.

 

Jacqueline Salmon, Le point aveugle, Périzoniums, études et variations

Musée Réattu, à Arles

Jusqu’au 02.10

© Le point aveugle / Cranach

© Le point aveugle / Cranach

© Le point aveugle / Michel-Ange

© Le point aveugle / Michel-Ange

© Le point aveugle / Bellini

© Le point aveugle / Bellini

© Le point aveugle. Zurbarán / Cano

© Le point aveugle. Zurbarán / Cano

© Le point aveugle / Pietà de Tarascon

© Le point aveugle / Pietà de Tarascon

© Le point aveugle / Variation sur le Christ moqué

© Le point aveugle / Variation sur le Christ moqué

© Le point aveugle / Petrus Christus

© Le point aveugle / Petrus Christus

Image d’ouverture : © Le point aveugle / Petrus Christus

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