Jusqu’au 2 janvier 2022, Planche(s) Contact colore Deauville. Cette année encore, le festival propose des projets riches, mêlant humour, poésie et expérimentations. Lumière sur les lauréats du Tremplin Jeunes Talents, qui, inspirés par leurs errances nocturnes, développent des récits aux frontières du réel.
Festival construit autour des résidences d’artistes, Planche(s) Contact donne à voir, depuis 2016, la jeune création, à travers son Tremplin Jeunes Talents. Évoluant librement dans Deauville, les photographes émergents s’imprègnent de l’atmosphère et de la lumière singulières de la ville balnéaire pour ériger des récits hors du temps, inspirés par ce qui forge l’identité du lieu. Cette année, c’est tout naturellement que les lauréats ont trouvé leur place au cœur des Franciscaines, pôle multiculturel emblématique refait à neuf. Sur les murs blancs, chaque auteur construit son propre espace, inscrit sur la surface blanche sa propre trace et propose au visiteur une promenade intense dans les rues de la cité.
Car Teo Becher, Céline Croze, Antoine Lecharny et Alisa Martynova parviennent à faire dialoguer leurs œuvres. D’un endroit à l’autre, les images assombrissent l’espace, se veulent immersives. Elles viennent casser l’image clichée de Deauville, d’une ville connue pour sa plage, ses courses hippiques, sa relation avec le cinéma. Dans les photographies des lauréats, au contraire, l’esprit des lieux est révélé. Il flotte dans un environnement désert – vidé par les contraintes des confinements passés – et envoûte le regardeur.
© Antoine Lecharny, pour Planche(s) Contact 2021
Laisser surgir l’émotion
Portés par le grain de l’argentique, les flous artistiques, la lumière de la lune et le charme des errances nocturnes, les photographes présents content des histoires aux frontières du réel. Un voyage qui débute – littéralement – avec Antoine Lecharny, qui capture ses allers-retours en train entre Deauville et Paris.
Dessinateur et sculpteur, l’artiste se défait, depuis quelques années, d’une pratique documentaire pour laisser surgir l’émotion. Et, bercé par le paysage qui défile, il saisit des scènes, des visages, des apparitions éphémères venant apporter une dimension onirique à une action ordinaire. Une oscillation que l’on retrouve dans Silence Insolent, de Céline Croze, artiste visuelle formée en cinéma. À l’aide de couleurs chaudes, qui rappellent les nuits moites estivales, elle capture les contrastes des peaux, des vagues et des fenêtres des bâtisses face au noir et de la nuit. Inspirée par l’entre-deux, le « monde d’avant et celui d’après », elle cherche les dichotomies, les métaphores qui parviendraient à illustrer l’immobilité d’un quotidien mis en pause à cause de la crise sanitaire.
Séduit par les soirées deauvilloises, Teo Becher s’est lui aussi aventuré dans l’obscurité à la recherche de son sujet. Et c’est en observant la vie, de l’extérieur, qu’il trouve l’inspiration. « La ville possède une aura très chargée. Il était facile de la faire dialoguer avec mon travail habituel, qui s’articule autour des histoires racontées, de l’instauration d’une étrangeté. La nuit apporte une dimension surnaturelle au tout, les couleurs se révèlent d’elles-mêmes », confie-t-il. Évoquant les banlieues pavillonnaires de Todd Hido, l’architectural Home Sensations donne aux fenêtres, aux devantures des foyers une dimension théâtrale fascinante.
© Teo Becher, pour Planche(s) Contact 2021
Tromper le regard
Immersive, l’installation d’Alisa Martynova, photographe d’origine russe, propose quant à elle une plongée sensorielle dans un univers tout aussi sombre et poétique. Dans la continuité de son travail initié en Italie autour de la question migratoire, l’autrice entame un dialogue entre portraits, paysages et son pour conter l’histoire de personnes originaires de diverses parties d’Afrique. « Je voulais travailler sur l’histoire, l’origine, la culture. Je m’intéresse à la manière dont ces migrants préservent leur héritage et le font connaître aux autres. Beaucoup de personnes rejettent leur culture lorsqu’ils arrivent dans un nouveau pays. Il est important de créer des communautés pour perpétuer la langue, la tradition. Car même en Afrique, elles sont peu à peu oubliées », raconte-t-elle.
Dans la pénombre – un laps de temps qui lui permet de mieux contrôler la lumière et l’atmosphère – Alisa Martynova parvient à tromper le regard. Face à son objectif, les paysages muent, se transforment, et évoquent l’aridité du continent africain. La Bretagne s’efface, au profit d’un espace minéral, sec, terres de folklore et d’apparitions fantomatiques. « Les légendes et mythes se racontent plutôt la nuit », s’amuse-t-elle. Il y a quelque chose de vivant, dans les œuvres de l’artiste. Une dimension organique, qui s’éveille au son des voix enregistrées – racontant des histoires dans plusieurs langues. Quelque chose qui prend vie et vient posséder le visiteur. Dans cet univers étrange, hors des cartes et hors du temps, le poids des coutumes, des récits, devient palpable. Il propose une osmose avec la nature, avec l’autre. Un besoin de connexion d’autant plus fort en plein isolement.
Et, privées de la lumière solaire, les œuvres des Jeunes Talents se complimentent étrangement. Organiques, brutes, sensuelles, les images appellent l’imaginaire, ouvrent une brèche vers le fantastique, comme si le réel n’était plus satisfaisant. Comme si Deauville, privée de ses habitants, tous reclus chez eux, se teintait d’une aura fantasmagorique, aussi inhabituelle qu’hypnotique.
© Antoine Lecharny, pour Planche(s) Contact 2021
© à g. Teo Becher, à d. Celine Croze, pour Planche(s) Contact 2021
© Celine Croze, pour Planche(s) Contact 2021
© Alisa Martynova, pour Planche(s) Contact 2021
Image d’ouverture : © Alisa Martynova, pour Planche(s) Contact 2021