La Suisse, ses montagnes, ses lacs, son chocolat, ses couteaux, sa place financière… et sa photographie ! Car oui, la Suisse regorge de lieux dédiés et d’événements liés à l’image, avec une programmation plutôt à l’avant-garde. Elle jouit d’ailleurs, cette année, d’une présence marquée aux Rencontres d’Arles dont elle est partenaire depuis quatre ans. Nous sommes allés à la rencontre du huitième art helvétique qui, grâce à ses institutions, ses artistes et ses expositions, dépasse les frontières. Tour d’horizon en quatre escales.
Point de départ de notre périple : Winterthour, en Suisse alémanique. Le soleil nous accompagne, c’est le temps idéal pour emprunter l’une des nombreuses pistes cyclables dont dispose cette ville à taille humaine proche de Zurich. Et en un rien de temps, nous voilà, d’un côté, face à la Fotostiftung Schweiz [la Fondation suisse pour la photographie, en français] et, de l’autre, au Fotomuseum. Mariage parfait entre le passé, le présent et le futur de la photographie, dans un ensemble dynamique de 1300m2 consacré au huitième art.
D’abord, la Fondation suisse pour la photographie, créée en 1971 à des fins de conservation et de recherche. Dans ses collections, on trouve environ 50 000 tirages d’exposition, 250 000 tirages d’archive, plus d’un million de négatifs et de diapositives et une bibliothèque comptant plus de 20 000 ouvrages. « La Fondation est là afin de créer une mémoire pour le futur », souligne Peter Pfrunder, le directeur passionné. Dans l’ancien bâtiment industriel qu’elle occupe depuis 2003, trois expositions monographiques ou thématiques sont proposées chaque année au public, et ce, en plus des autres qui voyagent à travers le monde. On peut y découvrir, jusqu’au 9 septembre, Double Take du duo zurichois Jojakim Cortis et Adrian Sonderegger : 42 tirages grand format qui mettent en scène, avec humour, des images iconiques de l’histoire de la photographie internationale telles que la chute de la célèbre goutte de lait d’Harold Edgerton (1957) qui se solidifie pour former une couronne. Un jeu séduisant entre les clichés originaux ancrés dans la mémoire collective et la déconstruction scénographique ici faite.
À quelques pas, le Fotomuseum. Fondé en 1993, ce musée est tourné vers la photographie contemporaine. On y découvre une programmation audacieuse. Première claque visuelle : la série Enjoy Your Life! du photographe de mode allemand Juergen Teller (à découvrir jusqu’au 7 octobre) : des nus, des obsessions autour de l’orange sanguine ou des grenouilles, une farandole de lettres d’insultes qu’il a reçues concernant son travail… Bref, une exploration de sa vie privée à travers des compositions inattendues.
Autre inédit, le format d’exposition intitulé Situations, un véritable laboratoire expérimental tourné vers le numérique et les nouvelles technologies. « Numérotée consécutivement à l’aide d’un hashtag, une Situation peut durer quelques heures, voire deux mois, et peut être une imagerie photographique, un film, un texte, une interview en ligne, une capture d’écran, une présentation de livre photo, une projection, une conférence Skype, une performance, etc. Elle peut avoir lieu à Winterthour ou ailleurs et être diffusée sur notre site internet. L’idée est de construire une archive de Situations en constante croissance », nous explique-t-on. Et cette année, Situations aborde la manière dont les images attirent l’attention (To Look Is to Labor) mais aussi l’impact social de l’exposition et de la surveillance (Follower) ainsi que les limites entre la photographie et le posthumain (Posthuman). La Situation #122 nous a particulièrement marqués. On y voit Demande anonyme, le spin-off de Searching Eva, un film documentaire livré par Pia Hellenthal et Giorgia Malatrasi autour d’Eva Collé, Italienne de 25 ans qui blogue son quotidien de travailleuse du sexe militante et de toxicomane depuis plus de dix ans sur Tumblr.
Self-reflections, Melancholy and Blood Oranges No.67, London, 2018 © Juergen Teller, All rights Reserved / Fotomuseum, Winterthur
À g., Raquel Zimmermann, Celine Campaign Autumn Winter, Mexico City, 2017 et à d., Self-Portrait with Balloons, Paris, 2017 © Juergen Teller, All rights Reserved / Fotomuseum, Winterthur
Transformations
Poursuivons notre exploration photographique en Suisse romande, à Lausanne, pour visiter le musée de L’Élysée. Et rien que pour la vue qui vient dominer le lac Léman, nous ne boudons pas notre plaisir. D’autant qu’à l’horizon 2021, le musée – reconnu à l’échelle internationale – rendra les clés de la belle bâtisse du siècle dernier qui l’abritait depuis 1983. Trop à l’étroit, il rejoindra le musée de Design et d’Arts appliqués contemporains et le musée cantonal des Beaux-arts sur un espace urbain commun de 25 000 m² construit en plein cœur de la ville et pensé comme « le quartier des arts ». Nom de cet ambitieux projet titanesque (180 millions de francs suisses investis) aux lignes contemporaines : Plateforme 10.
Images Mudac et/ou musée de l’Elysée © Plateforme 10, Mudac et musée de l’Élysée ; Aires Mateus e Associados
En attendant le futur déménagement, le musée de l’Élysée continue d’exposer. En ce moment, Jean Dubuffet (L’Outil photographique), Jacques Henri Lartigue (La Vie en couleurs) et la carte blanche du LabÉlysée confiée à la Française Aurélie Pétrel (Hexagone18, structure hexagonale immersive). Les jardins sont aussi l’occasion d’accueillir la Nuit des images. Le samedi 23 juin, 6 000 personnes sont venues à l’événement en partie consacré aux « principes humanitaires » pour « échanger autour des préoccupations contemporaines que les quarante artistes suisses et internationaux invités ont partagées : l’état du monde, ses tracas, ses enjeux, ses dangers, mais aussi l’espoir de mieux y vivre en le comprenant mieux. », a déclaré Tatyana Franck, la directrice du musée. Lors de cette soirée, la liste des huit nominés de la 3e édition du Prix de l’Élysée a été dévoilée : Laia Abril, Mathieu Asselin, Claude Baechtold, Alexandra Catière, Alinka Echeverría, Gregory Halpern, Nicola Lo Calzo et Luis Carlos Tovar. La somme de 5 000 francs suisses leur sera remise à chacun afin qu’ils puissent démarrer leurs projets.
Non loin de là, à Vevey, cité labellisée « Ville d’images », Stefano Stoll et son équipe finalisent le programme de la 6e édition du festival Images. Depuis 2008, la biennale d’arts visuels s’amuse à transformer les rues de la ville en musée à ciel ouvert. Du 8 au 30 septembre, les installations monumentales sur mesure et surprenantes d’une soixantaine d’artistes internationaux permettront au public de redécouvrir l’espace urbain. Les visiteurs pourront, entre autres, interagir avec les œuvres elles-mêmes. Définitivement, le festival à ne pas rater cette année.
Visite virtuelle de l’édition 2016 : ici.
Revelations © Marvin Leuvrey. (Photo © Céline Michel / Festival Images)
Style documentaire et visual culture
Cap sur Genève, à la pointe du Léman. À notre arrivée, tandis que les 725 étudiants de la Head – Haute école d’art et de design – passent leur soutenance de bachelor ou de master en arts visuels, les collections d’images du XVe au XXIe siècle de la bibliothèque de Genève se font, quant à elles, chouchouter au Centre d’iconographie qui ne ménage pas ses efforts pour conserver une mémoire de la ville et de ses habitants. À Genève, l’offre culturelle est très riche.
Nous faisons halte à la Maison Tavel qui rend hommage à Jean Mohr en accueillant jusqu’au 15 juillet Une école buissonnière. Il s’agit d’une proposition du photographe humaniste genevois dans laquelle il livre et commente des images choisies, glanées au cours de sa longue carrière, au détour de ses nombreux reportages. La vieillesse, la passion, la mort, la masculinité… autant de thèmes qui n’ont jamais été aussi actuels.
Autre lieu incontournable que nous avons visité, le Centre de la photographie Genève (CPG). Fondé en 1984 par onze photographes genevois, le CPG se veut être, depuis 2001, un laboratoire de recherche explorant des formes innovantes de présentation et de réflexion sur l’image ancrée dans la société contemporaine avec pour fils conducteurs, le « style documentaire » et la « visual culture » auxquels tient particulièrement son directeur, Joerg Bader. Chaque année, le CPG présente entre quatre et sept expositions et autoédite en moyenne deux livres par an, distribués depuis 2014 par Les Presses du réel. Et depuis 2003, le CPG organise la triennale 50JPG (50 Jours pour la Photographie à Genève) en collaboration avec plus de trente musées, centres d’art, galeries, bibliothèques et lieux off à Genève et ses environs. Si, en 2013, les 50JPG ont eu pour thème les vrais faux-semblants et, en 2016, les caméras de surveillance, l’édition de 2019 intitulée Osmose cosmos devrait se focaliser sur la relation entre Eros et le cosmos.
« Nous les hommes », Une école buissonnière, Jean Mohr, Maison Tavel, Genève © Gwénaëlle Fliti
Arles, la petite Suisse ?
Retour en France pour l’ultime étape de notre découverte de la photographie Suisse, avec les Rencontres d’Arles, rendez-vous très attendu qui débute aujourd’hui et se poursuit jusqu’au 23 septembre. Car pour la 4e année, la Suisse est partenaire de ces Rencontres dont le directeur, Sam Stourdzé, dirigeait auparavant le musée de l’Élysée, à Lausanne. L’influence se ressent. Ainsi la Suisse compte bien montrer son dynamisme à travers ses institutions, ses écoles, ses festivals, ses éditeurs et son espace d’échanges, le Nonante-neuf. Mais surtout à travers la place de choix réservée à ses photographes.
Dans notre numéro d’été, nous évoquions l’exposition Sidelines qui propose de redécouvrir les œuvres et le parcours de Robert Frank. Les Rencontres seront aussi l’occasion d’admirer Les Pyramides imaginaires de René Burri. Notons aussi la présence en force de la jeune génération. Avec, en premier lieu, H+, la série de Matthieu Gafsou sur le transhumanisme. Il y a Le Projet Auroville, installation multimédia immersive proposée par le duo Christoph Draeger et Heidrun Holzfeind. Et aussi Corbeau d’Anne Golaz à travers lequel la photographe aborde le thème de l’héritage familial. Le Genevois Lucas Olivet, de son côté, nous embarquera en Pologne avec Kopiec Bonawentura. Si Gregor Sailer n’est pas suisse, son exposition Village Potemkine, coproduite par le CPG, retient notre attention. Le travail de l’Autrichien s’articule autour des façades architecturales en trompe-l’œil qu’il documente des États-Unis à la Chine afin de révéler leur caractère parfois politique, résolument artificiel et absurde.
Avez-vous tout noté ? Votre agenda est-il désormais complet ? Quand on vous dit que la Suisse en a dans le boîtier !
Mooty, série Corbeau, 2004-2017 © Anne Golaz, avec l’aimable autorisation de la Galerie C.
La bioluminescence chez la méduse Aequorea victoria, Fribourg, 30 mars 2017. © Matthieu Gafsou, avec l’aimable autorisation de l’artiste, de Galerie C et de MAPS.
Carson City VI / Vårgårda, Suède, 2016, © Gregor Sailer, avec l’aimable autorisation de l’artiste.