Keti Irubetagoyena adapte régulièrement des romans pour la scène. Pour son projet de lecture performée de l’œuvre de Pauline Delabroy-Allard, Ça raconte Sarah, elle a choisi de s’associer à Pia Ribstein, une photographe spécialisée dans les questions de corps et de sexualité. Lever de rideau sur cette délicate association entre littérature, théâtre et photographie. À découvrir les 29 et 30 septembre et les 1er et 2 octobre 2021 au Nouveau Gare au Théâtre, à Vitry-sur-Scène. Et l’article est à retrouver dans notre numéro 45.
« Ça raconte Sarah, sa beauté inédite, son nez abrupt d’oiseau rare, ses yeux d’une couleur inouïe, rocailleuse, verte, mais non pas verte, ses yeux absinthe, malachite, vert gris rabattu, ses yeux de serpent aux paupières tombantes. Ça raconte le printemps où elle est entrée dans ma vie comme on entre en scène, pleine d’allant, conquérante. Victorieuse. »
C’est ainsi que s’ouvre le premier chapitre de Ça raconte Sarah, roman
de Pauline Delabroy-Allard publié en 2018. Plus qu’un roman, c’est un poème ponctué de courtes phrases narrant la relation amoureuse passionnelle entre deux femmes: Sarah et la narratrice. Un texte magnifique mis en scène par Keti Irubetagoyena, et en images par Pia Ribstein, à l’occasion d’une lecture performée sur le thème de la dévoration.
C’était en octobre 2020, juste avant la mise en place du , dans un studio caché du 9e arrondissement de Paris que j’ai pu prendre ma dernière dose de culture. Dans une pièce modeste, j’ai aperçu des photos petit format disséminées çà et là. Certaines étaient accrochées au mur, d’autres délicatement placées dans des petites boîtes. Sur une table, des verres à saké coquins. Plus loin, un album de famille fermé. Pour découvrir les images osées, il me fallait l’ouvrir, le parcourir. Comme les autres spectateurs intrigués, j’ai pris le temps, examiné les détails des corps et les instants d’amour dévoilés. Assez naturellement, j’ai désacralisé les tirages photo classiques, et me suis laissée tenter par cette curieuse chasse au trésor qui s’amorçait alors, de l’entrée du studio jusqu’à la seconde pièce où l’actrice Julie Moulier patientait, assise sur un bureau. La performance put alors commencer.
Vibration des sentiments
À l’origine pensé comme un triptyque – deux lectures performées en écho à une installation photographique – Covid-19 oblige, le projet Dévoration initié par Keti Irubetagoyena s’est recentré sur l’ouvrage Ça raconte Sarah et la production de Pia Ribstein. Si la metteuse en scène avait travaillé avec des photographes de plateau, la collaboration avec Pia Ribstein constitua deux nouveautés. « Je n’avais jamais “créé” avec aucun.e photographe jusqu’à présent. J’adore le 8e art, peut-être parce que le cadre y a tant d’importance. Chaque cliché m’apparaît toujours comme une mise en scène miniature », confie-t-elle. Pia, quant à elle, a vécu à Avignon et les codes du théâtre ne lui sont pas étrangers, bien au contraire. « Ma mère est comédienne, et j’ai souvent travaillé au sein du Festival d’Avignon. Je n’avais pourtant jamais lié cette discipline à la photo. Quand Keti m’a contactée, j’étais ravie. Je trouvais intéressante l’idée de mêler les deux médiums sur un même niveau, comme une discussion », annonce la jeune femme.
Les mots de Pauline Delabroy-Allard ont constitué un véritable choc pour les deux artistes. « Ce roman est arrivé à un moment de ma vie où il m’a soulagée et révoltée. Au-delà de l’histoire, qui me touchait personnellement, j’ai été interpellée par le rythme de ce texte, cette façon qu’il a de nous happer dans le tourbillon émotionnel qui dévaste la narratrice », confie la metteuse en scène. Pia Ribstein pointe également cette vibration des sentiments, « ce ressenti charnel de la douleur, comme du plaisir, qui fait écho en chacun de nous. » Et c’est bien cela qu’elle retranscrit à travers ses images de fragments de corps multiples, genrés ou pas. « Il s’agissait de donner à voir ce qu’il se passe dans un cerveau, un cœur, un ventre. Comment montrer un tremblement de l’âme, un orgasme, l’amour ? », complète Pia, touchée par les descriptions du corps de Sarah. Libre de toutes tentations illustratives, la photographe engage alors un travail minutieux sur la peau, les torsions, ou encore l’entremêlement des corps, essayant de pousser toujours plus loin les limites de leurs mouvements. Si elle a lu Ça raconte Sarah, elle a préféré ne pas s’entretenir avec l’auteure afin d’éviter la création d’images mentales. Les résonances entre ses photos et l’univers visuel suggéré par Pauline Delabroy-Allard apparaissent pourtant toutes aussi puissantes les unes que les autres. Un exercice exaltant pour deux femmes, exigeantes et tenaces, qui avaient envie de « trouver le juste dosage de poésie et de crudité pour renvoyer les spectateurs et les spectatrices à leur propre intimité, sans les choquer outre mesure ».
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans le Fisheye #45, disponible ici.
Les prochaines représentations de Ça raconte Sarah ont lieu les 29 et 30 septembre et 1er et 2 octobre 2021 au Nouveau Gare au Théâtre, à Vitry-sur-Scène.
© Pia Ribstein