Voyage « autour du monde » dans les pas d’Albert Kahn

01 avril 2022   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Voyage « autour du monde » dans les pas d’Albert Kahn

Du 2 avril au 13 novembre 2022, le musée départemental Albert-Kahn accueille Autour du Monde, la traversée des images d’Albert Kahn à Curiosity. Une invitation au voyage, dans le passé et vers l’avenir, qui, des décennies plus tard, nous aide encore à repenser nos sociétés.

Le musée départemental Albert-Kahn s’apprête à rouvrir ses portes, ce samedi 2 avril, après six ans de travaux. Ce nouvel écrin de culture – imaginé par l’architecte japonais Kengo Kuma – a été pensé comme une passerelle. L’une de celles qui nous mènent de l’urbanisme uniforme à la nature plurielle des éléments et des êtres. Car derrière son engawa (une bande de sol, récurrente dans les constructions nipponnes, qui alterne ici entre le bois et le métal), l’institution abrite aussi bien l’impressionnante collection du banquier que de magnifiques jardins. Dans cet espace d’entre-deux, les pollutions sonores et visuelles semblent inexistantes. La déconnexion qui en découle permet alors de se recentrer sur l’essentiel et remet en perspective notre rapport à l’autre.

L’exposition inaugurale du musée ne pouvait pas être mieux nommée. Intitulée Autour du monde, la manifestation nous invite à suivre le chemin esquissé par Albert Kahn. Animé par la découverte de nouvelles cultures, l’homme d’affaires a parcouru le globe aux côtés d’Albert Dutertre. Chauffeur-mécanicien de formation, c’est son patron qui lui a appris à manipuler photographie et cinématographe. Car le passionné avait cœur de partager cette aventure humaine qu’il entrevoyait comme la promesse d’une meilleure construction personnelle. Un don de soi et de l’autre auquel l’institution a voulu rendre hommage aujourd’hui. À l’étage de l’infrastructure, se tient ainsi un petit salon, paré de tentures couleur espoir. Au sein de cette chaleureuse atmosphère, nous pouvons interagir avec les collections numérisées. Derrière cette initiative, une volonté de privilégier le prisme international, la circulation des idées et des conceptions au-delà de la seule matérialité des images.

Stéphane Passet © Département des Hauts-de-Seine / Musée départemental Albert-Kahn

© Stéphane Passet / Département des Hauts-de-Seine / Musée départemental Albert-Kahn

Un voyage immersif avant l’heure

Grand voyageur, Albert Kahn était également un avant-gardiste, fasciné par l’organisation des sociétés, l’environnement et les nouvelles technologies. Dès 1909, le philanthrope s’est lancé dans un projet d’envergure : les Archives de la Planète. L’objectif ? Constituer un inventaire visuel mondial afin de favoriser l’entente entre les peuples et démontrer la richesse de la diversité culturelle. Jusqu’en 1931, il a ainsi réuni 72 000 plaques autochromes – tout premier procédé industriel de photographie couleur inventé par les frères Lumière. À cela s’ajoutent 180 000 mètres de film nitrate noir et blanc muet, 4 000 stéréoscopies, d’innombrables carnets de route… Une manière d’immortaliser « les pratiques et des modes de l’activité humaine dont la disparition fatale n’est plus qu’une question de temps », s’alarmait déjà Albert Kahn.

Films réalisés en mer de Chine ou à dos d’éléphant, l’image tangue et traduit les mouvements flous de l’action. Albert Kahn a ainsi construit un voyage immersif avant l’heure, à la croisée des mondes et des disciplines. Géographie, ethnologie, anthropologie, sociologie… De Cherbourg à New York, sa traversée de l’Atlantique fut l’occasion de souligner les différences qui existaient alors entre les classes, cristallisées par la conception même du bateau. Au Japon – motif primaire de cette vaste expédition –, en Chine, au Canal de Suez ou en Italie… Albert Kahn a multiplié les rencontres de représentants officiels, parfois de manière officieuse, dans un désir de comprendre l’étranger. Discret, il se dérobait aux images, comme pour s’effacer derrière les récits qu’il transmettait, toujours avec bienveillance.

Stéphane Passet © Département des Hauts-de-Seine / Musée départemental Albert-Kahn

© Stéphane Passet / Département des Hauts-de-Seine / Musée départemental Albert-Kahn

La fabrique d’imaginaires prêts à l’emploi

Mais cette inclination pour le partage s’inscrit bien au-delà de cette seule démarche. À partir de 1918, cet amoureux du genre humain a doté plusieurs universités, dont celles de Paris et de Tokyo. Par le biais d’un système de bourses, plusieurs étudiants – mais également des étudiantes – sont partis à la découverte du vaste monde et ont pu contribuer à l’élaboration des Archives. Les témoignages de ces nouvelles opératrices – mis en avant dans l’exposition – soulignent ainsi la complexité d’être une femme de culture à une telle époque. Une condition qui, aujourd’hui encore, constitue un frein à l’émancipation et l’affirmation de soi dans certaines régions.

Avec la mise en mouvement des individus – conséquence de l’accélération de la mondialisation –, Albert Kahn a également assisté aux prémices de l’hypermobilité. L’industrie du tourisme de masse a érigé une nouvelle mémoire collective, associée à la standardisation des destinations. Nos représentations de certains lieux sont désormais saturées d’images qui, par leur nombre effréné, ont perdu tout leur sens. Autour du Monde s’achève ainsi sur quelques vues de Mars, capturées par le robot Curiosity, reprises au collodion humide. L’opérateur est alors déshumanisé, à l’instar de notre rapport à l’étranger. L’abondance de clichés a banalisé ces cultures, nourries par la fabrique d’imaginaires prêts à l’emploi. Si Albert Kahn désirait influencer les élites du 20e siècle par les images, ce sont ces dernières qui influent notre vision des sociétés contemporaines. Un constat inquiétant qui nous invite incessamment à reconsidérer notre manière d’appréhender le monde alentour.

Auguste Léon © Département des Hauts- de-Seine / Musée départemental Albert- Kahn

© Auguste Léon / Département des Hauts- de-Seine / Musée départemental Albert-Kahn

Georges Chevalier © Département des Hauts-de-Seine / Musée départemental Albert-Kahn

© Georges Chevalier / Département des Hauts- de-Seine / Musée départemental Albert- Kahn

Stéphane Passet © Département des Hauts-de-Seine / Musée départemental Albert-KahnAuguste Léon © Département des Hauts- de-Seine / Musée départemental Albert- Kahn

À g. © Stéphane Passet, à d. Auguste Léon / Département des Hauts-de-Seine / Musée départemental Albert-Kahn

Opérateur non mentionné © Département des Hauts-de-Seine / Musée départemental Albert-Kahn

© Opérateur non mentionné / Département des Hauts-de-Seine / Musée départemental Albert-Kahn

Frédéric Gadmer © Département des Hauts-de- Seine / Musée départemental Albert-KahnRoger Dumas © Département des Hauts-de-Seine / Musée départemental Albert-Kahn

À g. © Frédéric Gadmer, à d. Roger Dumas / Département des Hauts-de- Seine / Musée départemental Albert-Kahn

Roger Dumas © Département des Hauts-de-Seine / Musée départemental Albert-KahnJules Gervais-Courtellemont, © Département des Hauts-de-Seine / Musée départemental Albert-Kahn

À g. © Roger Dumas, à g. Jules Gervais-Courtellemont / Département des Hauts-de-Seine / Musée départemental Albert-Kahn

Frédéric Gadmer © Département des Hauts-de- Seine / Musée départemental Albert-Kahn

© Frédéric Gadmer / Département des Hauts-de-Seine / Musée départemental Albert-Kahn

Image d’ouverture © Roger Dumas / Département des Hauts-de-Seine / Musée départemental Albert-Kahn

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