La photographe-militante Émilie Désir, arpente les mouvements sociaux parisiens, et capture une réalité, souvent délaissée par les médias. Intimement politique, son travail témoigne des rapports de forces qui s’opèrent entre policiers et manifestants. À l’heure où la diffusion d’images est mis en cause, ces clichés rappellent l’importance d’une pluralité des visions.
« Toutes les photos sont politiques »,
revendique la photographe Émilie Désir. Rues enflammées, militants masqués, et policiers armés, les images de l’auteure parisienne, exaltent l’énergie des mouvements contestataires. Toujours autour du cou, pour faire face à l’imposant outillage policier, l’appareil photo devient son instrument de prédilection. Avant tout militant, son travail apparaît comme une réponse personnelle aux flux d’images des médias. « Je descendais dans la rue comme beaucoup pour voir de mes propres yeux et me faire une opinion. J’ai eu envie de montrer ce que je ressentais, car j’ai eu l’impression que les médias le trahissaient », explique-t-elle. Un travail nécessaire mais malheureusement menacé par la dernière proposition de loi Sécurité Globale, interdisant la diffusion d’images de policiers.
En résultent des images dynamiques et honnêtes où se répand une odeur de gaz lacrymogènes. Pour s’opposer à la tendance actuelle de produire des images en masse – à un rythme effréné –, Émilie Désir affectionne la photographie argentique. « Le processus de l’argentique est presque devenu un rituel, le moment où j’enclenche un nouveau film est jouissif », raconte-t-elle. Une manière de prendre du recul, et de digérer son travail. « À notre époque, on a pour habitude de consommer de l’image tous les jours à chaque minute. On peut vite s’y perdre. J’aime devoir attendre les délais du laboratoire, et ressentir la pression qui monte avant de découvrir enfin mes photos ». La lenteur de l’analogique rencontre, chez la militante, le brouhaha des manifestations, esquissant un travail intime et réfléchi.
Le drapeau noir à l’unisson
Poussée par son attachement à l’objet papier, Émilie Désir privilégie jusque-là les fanzines pour exposer ses récits. En témoigne, en 5 actes, une série couvrant le mouvement des Gilets Jaunes, publiée au compte-goutte aux Éditions Nuit Noire. « J’aime le format du fanzine, j’aime l’esprit lié à cet objet. Il est apparu à l’aube des années 30, et a été très largement démocratisé avec le mouvement punk des années 70. J’aime le fait qu’on peut le trimballer facilement dans son sac, et qu’il soit abordable pour tous. C’est un objet fait pour être passé de main en main, peu importe s’il est corné ou tâché », explique-t-elle. En accordant une véritable autonomie à son travail, ses photos circulent, se partagent et se vivent librement – à l’image de ses convictions politiques.
À l’écoute de ses sens, la photographe se laisse entraîner par la foule, et capture à l’instinct, des moments symboliques des luttes populaires. « Si je décide de capturer une voiture en feu, ce n’est pas simplement pour l’esthétique. Ce n’est pas anodin qu’un individu décide d’enflammer « la rue ». C’est représentatif d’un profond malaise. Je cherche à mettre en lumière les soulèvements d’un peuple délaissé », réagit-elle. Des marches de solidarité, aux soulèvements contre la loi Sécurité Globale, Émilie Désir navigue entre les foules avec son appareil photo, et capture des moments clés. Dans ses portraits, seuls les yeux sont visibles : un aperçu de l’humain et de sa fragilité. En brandissent le drapeau noir à l’unisson, ces figures se rallient dans l’anonymat, et crient haut et fort leur colère. Des images qui entretiennent l’espoir d’un monde meilleur – après tout, « les mauvais jours finiront », conclut l’auteure.
© Émilie Désir