Cet article contient du contenu violent ou explicite

Tous à poil !

10 mars 2021   •  
Écrit par Finley Cutts
Tous à poil !

Avec ses amis, la photographe Chloé Sassi ne rate pas une occasion de fuir Paris dans des excursions enflammées à la campagne. Le temps de quelques prises de vue, les habits tombent et les esprits s’éveillent pour provoquer l’intensité de la situation.

Henri Bergson disait « À quoi vise l’art ? Sinon à montrer, dans la nature même et dans l’esprit, hors de nous et en nous, des choses qui ne frappaient pas explicitement nos sens et notre conscience ? » Et Chloé Sassi, fidèle à l’observation du philosophe, cherche à faire « sentir ce qui est en nous et hors de nous ». « C’est ce que j’essaye de proposer aux modèles dans mes images. Je veux qu’elles·ils soient conscient·e·s de ce qu’elles·ils traversent à ces instants-là », annonce t-elle. Aujourd’hui installée à Paris, la photographe retourne dans les décors de son enfance et nous propose une plongée sensorielle au sein des campagnes. Son leitmotiv ? En quelques mots : aller à la rencontre de la nature pour redécouvrir la nôtre. Avec un travail qui tourne autour de la photo, la vidéo et la mise en scène, l’artiste développe une approche immersive et performative du 8e art. Loin de sa campagne natale, elle prépare aujourd’hui un projet centré sur cette même notion d’immersion dans l’art contemporain à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Et dans ses images, en déshabillant ses modèles, elle ancre l’instant photographique dans le réel – comme expérience à part entière où le sujet se libère. « Cette présence par rapport aux choses est fondamentale pour vivre. Il faut une révolution sensible. Je considère qu’un des moyens pour se réapproprier nos existences c’est justement de remettre le corps au centre, de l’écouter dans tout ce qu’il a à révéler de notre manière d’être au monde », explique-t-elle.

Le motif majeur du travail de Chloé Sassi ? La nature. Nécessité vitale plus qu’un simple désir d’évasion, la verdure domine ses images. France, Allemagne, Pologne, Sicile… Les campagnes européennes défilent devant son objectif et deviennent le décor de ses créations. L’artiste développe son œuvre en réaction à l’aliénation urbaine. « À Paris, par exemple, on se rend compte qu’on doit s’isoler sensoriellement en permanence pour survivre. On respire mal, l’environnement sonore est saturé, et il y a très peu d’espaces publics où on peut être attentif·ve à ce que l’on éprouve en toute quiétude », explique-t-elle. Convaincue de la nécessaire rééducation de nos sens, elle dirige notre attention vers le corps : notre ultime point de contact avec le monde. « Je ne conçois pas la vie sans le corps. Il est à la base de notre expérience sur la terre. On a tendance à s’en rendre de moins en moins compte, sinon on ne s’infligerait pas de tels enfers au quotidien dans notre manière de gérer les espaces », poursuit-elle. Avec des airs de manifeste, ses images résonnent comme des revendications esthétiques et militantes sur nos manières de vivre. 

© Chloé Sassi© Chloé Sassi

Une danse enflammée et fiévreuse

« Nous traversons une période où la moitié de notre visage n’est plus en contact avec le monde, et il me semble plus nécessaire que jamais de s’étreindre, de danser tou·te·s nu·e·s, de vibrer de tous nos sens, et de raviver la flamme par une participation active de nos corps »,

avance Chloé Sassi. Ses modèles – principalement ses amis – se mettent à nus et courent, dansent, respirent, et crient leurs passions. Car la nudité se présente indéniablement comme le meilleur outil pour l’immersion. Elle supprime littéralement les barrières qui nous séparent du monde. Et pour pousser cette immersion jusqu’au bout, la pratique de l’argentique s’est imposée comme le modus operandi idéal – par son rapport spécifique au temps et à la matière. « Avec le numérique, tu te réajustes par rapport à la scène. C’est une forme de trahison de l’instant : d’un coup tu te détournes du réel pour être uniquement dans la représentation. Alors que l’argentique existe dans la matière, et t’impose une pleine présence lors de la prise de vue », poursuit l’artiste. Maître mot de sa pratique c’est bien la présence que cherche l’autrice. Attachée au moment présent, elle écoute attentivement les mondes se livrer. La photographe s’imprègne du 8e art et devient, par son regard et ses revendications, la protagoniste de ses images. 

Avec la mise à nu, du corps et de l’âme, elle cherche l’intimité la plus grande en provoquant des « intensités situationnelles ». « Le nu permet d’éprouver les choses au plus près de la peau, d’être dans une forme de fusion avec l’environnement et l’atmosphère, raconte-t-elle. La nudité nous fait rentrer en transe ». Enivrés par l’expérience photographique, l’artiste et ses modèles déclenchent les phénomènes – esthétiques et humaines. L’amour, l’euphorie et l’intime se nouent sensuellement dans une danse enflammée et fiévreuse. Vecteurs de rêves et d’imaginaires, ces moments sèment les graines d’un autre monde, loin de l’aliénation moderne. « Je chercherai toujours ces temps pour me réunir avec mes proches et fuir les dystopies actuelles. Pour aller à contresens et “danser avec le chaos” comme le dit une de mes chères amies », conclut-elle. Indubitablement présente au monde, Chloé Sassi habite ses mises en scène et provoque des expériences sensibles de vie.

© Chloé Sassi© Chloé Sassi

© Chloé Sassi

© Chloé Sassi© Chloé Sassi

© Chloé Sassi

© Chloé Sassi© Chloé Sassi

© Chloé Sassi

© Chloé Sassi© Chloé Sassi

© Chloé Sassi

© Chloé Sassi© Chloé Sassi

© Chloé Sassi

© Chloé Sassi© Chloé Sassi

© Chloé Sassi

Explorez
A Lost Place : Aletheia Casey évoque le traumatisme des feux australiens
© Aletheia Casey
A Lost Place : Aletheia Casey évoque le traumatisme des feux australiens
À travers A Lost Place, Aletheia Casey matérialise des souvenirs traumatiques avec émotion. Résultant de cinq années de travail...
21 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Année de la mer : 16 séries photographiques qui vous immergent au cœur du monde marin
© Stephanie O'Connor
Année de la mer : 16 séries photographiques qui vous immergent au cœur du monde marin
En 2025, la France célèbre la mer dans l’objectif de sensibiliser les populations aux enjeux qui découlent de ces territoires. À...
19 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Pierre Rahier capture sa vallée et sa famille dans un mutisme tendre
© Pierre Rahier. Le silence de la vallée
Pierre Rahier capture sa vallée et sa famille dans un mutisme tendre
Depuis près de dix ans, à travers sa série Le Silence de la vallée, Pierre Rahier documente son environnement familial dans une vallée...
18 février 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Jeu de Paume : Paysages mouvants, terrain de nos récits personnels et collectifs
The Scylla/Charybdis Temporal Rift Paradox 2025. Installation : soieries, bras robotisé, vidéo, lumières leds et Uvs (détail). © Mounir Ayache
Jeu de Paume : Paysages mouvants, terrain de nos récits personnels et collectifs
Jusqu’au 23 mars 2025, le Jeu de Paume accueille la deuxième édition de son festival dédié aux images contemporaines : Paysages mouvants....
11 février 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Wes Anderson à la Cinémathèque : quand le cinéma devient photographie
Kara Hayward dans Moonrise Kingdom (2012), image tirée du film © DR
Wes Anderson à la Cinémathèque : quand le cinéma devient photographie
L'univers de Wes Anderson s'apparente à une galerie d'images où chaque plan pourrait figurer dans une exposition. Cela tombe à pic : du...
22 février 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
A Lost Place : Aletheia Casey évoque le traumatisme des feux australiens
© Aletheia Casey
A Lost Place : Aletheia Casey évoque le traumatisme des feux australiens
À travers A Lost Place, Aletheia Casey matérialise des souvenirs traumatiques avec émotion. Résultant de cinq années de travail...
21 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Javier Ruiz au rythme de Chungking
© Javier Ruiz
Javier Ruiz au rythme de Chungking
Avec sa série Hong Kong, Javier Ruiz dresse le portrait d’une ville faite d’oxymores. Naviguant à travers le Chungking Mansions et les...
21 février 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Karim Kal : paysages nocturnes de la Haute Kabylie
© Karim Kal
Karim Kal : paysages nocturnes de la Haute Kabylie
Le photographe franco-algérien Karim Kal a remporté le prix HCB 2023 pour son projet Haute Kabylie. Son exposition Mons Ferratus sera...
20 février 2025   •  
Écrit par Costanza Spina