Avec sa série DISKO, publiée à compte d’auteur, le photographe américain Andrew Miksys nous convie aux soirées de la province lituanienne. Un voyage dans le temps où l’ombre de l’URSS plane sur la fête.
Parler de la vie nocturne peut paraître incongru depuis près d’un an. Dans la succession de confinements et de couvre-feux de ces derniers mois, difficile de se procurer un peu de liberté. Surtout, la fermeture des lieux culturels, des bars, des boîtes de nuit semble avoir sonné le glas de la fête. Pour s’en souvenir, la série DISKO du photographe américain Andrew Miskys offre une plongée originale dans les soirées des provinces de la Lituanie. Ses images d’une autre époque explorent les discothèques improvisées dans les vestiges de l’Empire soviétique.
Ce natif de Seattle entretient une relation particulière avec cette terre. « Pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que mon père était nourrisson, mes grands-parents ont fui la Lituanie, explique Andrew Miskys. Ils ont finalement atterri aux États-Unis. » Ce n’est qu’une fois l’indépendance le la Lituanie retrouvée que le photographe découvre pour la première fois le pays de ses origines et les proches restés là-bas. Il est captivé. Remportant la bourse Fulbright pour la photographie en 1998, il n’hésite pas à repartir traverser le territoire dans un road trip qui le conduira à s’installer définitivement au bord de la mer baltique.
Une Lituanie en mutation
Un jour, alors qu’il stationne dans un bourg du pays, Andrew Miskys aperçoit une bande de jeunes qui transportent des bières et s’engouffrent dans un vieux bâtiment grisâtre à l’architecture soviétique. Il les suit. Il découvre une pièce incroyable aux boiseries brunes, des banquettes en Skaï rouge, une boule à facettes et, au mur, un portrait de Lénine. « Après cette nuit-là, confie-t-il, j’ai passé dix années à écumer les discothèques des villages partout sur le territoire. Ces jeunes étaient avides de changement et à la recherche de nouvelles expériences. »
Nous sommes alors dans une Lituanie en pleine mutation. Le photographe a le sentiment de vivre une période aussi singulière qu’éphémère. « Cette transition fut brève. J’avais l’impression que quelque chose de vraiment unique se passait, analyse Andrew Miskys. Il y a eu des changements économiques et sociaux spectaculaires. Les enfants des zones rurales, en particulier, avaient soif de distractions. Les discothèques étaient les lieux de rassemblement et de partage au tour de la musique d’autres pays et d’une scène lituanienne naissante. »
L’ombre de l’URSS
Que ce soit dans des bureaux soviétiques, des centres de détention, des entrepôts d’armes… L’ombre de l’URSS n’a pas éteint les lumières de la fête. Des enceintes semblent s’échapper un air de renouveau, une marche en avant inéluctable. « Ces discothèques avaient le genre d’ambiance où le temps semble décalé, commente Andrew Miskys. C’était à la fois le présent et le passé, et l’avenir qui avançait à toute allure. » Dans les regards, les postures, les looks et les décors se dégage quelque chose de suranné. Une impression de fin de règne suinte des murs défraîchis. Sur les corps plane une volonté de rattraper le temps perdu. Au milieu de ces organisations sommaires, la jeunesse s’abandonne enfin.
Une façon désinvolte d’oublier le quotidien sans penser aux lendemains. Mais pour le photographe, cette période est révolue. Les lieux sont aujourd’hui définitivement désertés ou tout simplement détruits. Quant à cette jeunesse saisie dans ses images, elle s’en est allée après que la Lituanie a rejoint l’Union européenne en 2004. « Ces enfants ont eu l’occasion de partir pour toujours, explique-t-il. Il faut rappeler que la frontière avec l’Europe était fermée depuis 50 ans. Ils ont eu envie de voir ce qui se passait ailleurs et saisir les opportunités qui se présentaient. » À partir de cette date, les dancefloors du pays balte se sont vidés. Ils ont laissé derrière eux le souvenir de la liberté retrouvée.
Une relique du passé
Suite à cette aventure, Andrew Miksys a décidé de s’installer en Lituanie. Il vit désormais à Vilnius. Il lui arrive de croiser certaines des personnes immortalisées pour DISKO. « C’est drôle que les gens se souviennent que je les ai photographiés, s’amuse-t-il. Ça a dû leur faire bizarre de voir un étranger aux cheveux long se présenter à la discothèque du village. » Le photographe garde le contact avec quelques DJs qu’il a rencontré. Il a même collaboré avec certains d’entre eux à l’occasion d’expositions de ses images prises lors de leurs soirées.
Aujourd’hui, alors que sévit une épidémie mondialisée, comme beaucoup il redoute l’avenir de la nuit. « J’ai toujours le sentiment étrange que le genre de vie nocturne qui apparaît dans mes photos soit une relique du passé, confie Andrew Miksys. L’impression que ça ne reviendra pas. Tous ces jeunes agglutinés, en sueur, dans des endroits clos… Mais peut-être qu’Internet et les réseaux sociaux ont eu un plus gros impact sur les soirées que la pandémie elle-même. J’entends dire que les fêtes recommenceront. Espérons-le. »
© Andrew Miksys