Après avoir sorti Midnight Manor, deuxième album avec son groupe The Nude Party, le photographe-musicien Alec Castillo revient sur les instants intimes qu’il capture au milieu du brouhaha rock’n’roll et déjanté. La fièvre d’une jeunesse libre et éternelle exalte ses images, évoquant une légèreté attendrissante. Le photographe nous invite sur les routes américaines, à crier nos passions, au rythme électrique de sa musique. Entretien.
Fisheye : Tu nous racontes tes premiers pas dans la photographie ?
Alec Castillo : J’ai commencé la photo jeune, à la suite d’un accident en skateboard. Une opération chirurgicale importante m’a amené à prendre un appareil photo comme un nouvel exutoire créatif. Mes premières photos étaient nulles, je faisais de la “merde” et ne trouvais pas ma place dans le milieu de l’art. Mais j’ai très vite su que ce que j’aimais, c’est documenter mes amis.
La photographie est devenue une partie de mon identité et m’a indiqué une direction. Plus tard, j’ai fini par aller à l’université pour poursuivre des études artistiques et c’est à ce moment-là que j’ai commencé à prendre les choses plus au sérieux, et à définir mon style.
Qu’est-ce qui est venu en premier pour toi, la photographie ou la musique ?
La photographie est arrivée en premier, mais j’ai toujours aimé la musique. Je n’ai commencé à pratiquer qu’à l’université, avec mes meilleurs amis. On s’était dit, à moitié en rigolant, qu’on devait monter un groupe. On a ensuite passé tout un été ensemble à apprendre à jouer nos nouveaux instruments – et à énerver mon voisin par notre manque de rythme et notre amateurisme partagé !
On est tombés amoureux de la musique. Cela a comblé un certain vide. Un an plus tard, lorsque nous avons commencé à donner nos premiers concerts et à improviser des tournées, j’ai développé un projet photographique personnel et intime.
La photographie répond-elle a un besoin que la musique ne satisfait pas ?
Absolument. Je crois fermement que mélanger les mediums est nécessaire pour créer les meilleures œuvres. C’est pour cela que j’ai voulu m’aventurer dans la musique. Mais je crois aussi qu’il est important d’avoir un exutoire créatif, et la photographie m’a permis de faire les deux en même temps.
Il y a certainement des moments où je me demande comment ma vie aurait pu se dérouler si j’avais consacré tout mon temps et toute mon énergie à l’un ou l’autre. Mais au final, je réalise toujours que j’ai besoin des deux pour rester sain d’esprit. Je veux poursuivre ainsi jusqu’à ce que le carburant soit totalement consommé.
La plupart de ton travail est réalisé lors des tournées avec ton groupe The Nude Party. Cela te donne-t-il un cadre pour créer ?
Jusqu’à l’arrivée de la Covid-19, j’étais sur la route 80% de l’année. Les courtes périodes où je regagnais ma maison, je me remettais de la tournée, et j’essayais de trouver des contrats commerciaux ou des petits boulots pour financer mes passions et mon toit. Je n’ai jamais vraiment eu le temps de me concentrer sur un nouveau projet à long terme. Maintenant que les tournées se sont arrêtées, je remets encore en question la finalité et l’évolution de mon travail…
Les membres de ton groupe te laissent-ils libre de capturer ces moments partagés ?
Ce sont aussi mes meilleurs amis et ce, depuis toujours. Ils n’ont jamais entravé mon travail. Ils ont accepté la présence de mon appareil photo. Ils sont généralement super heureux de voir les images une fois la tournée terminée. Ils ont toujours soutenu mon travail.
Penses-tu que ton travail est une adaptation moderne du classique road-trip américain, un sujet privilégié en photographie ?
Oui, ce projet, en particulier, affiche mon point de vue sur le road trip américain, mais pas nécessairement limité au style documentaire traditionnel. J’espère que les gens pourront s’identifier au thème central de ce projet, et de la plupart de mon travail, à savoir les liens humains et l’intimité. Je cherche à produire un travail intemporel, tout en restant connecté à ma vie personnelle. Je pense que mon approche a mûri au fil du temps : je me suis éloigné d’un style strictement documentaire, et j’ai choisi de donner à voir des moments intimes, et l’ambiguïté des sentiments.
Des artistes qui t’inspirent ?
Au début de mon adolescence, j’étais en quelque sorte obsédé par un monde artistique auquel je n’appartenais pas. Je vivais indirectement à travers les premières photographies de Ryan McGinley et de ses amis Dash Snow et Sandy Kim. Comme beaucoup d’autres qui montrent les cultures marginales, j’ai grandi en regardant les films de Larry Clark et d’Harmony Korine. Il ne fait aucun doute que leur travail a influencé mes débuts, mais plus tard, j’ai trouvé ma propre identité. À l’université, j’ai eu un mentor, Mike Belleme, que j’admire et respecte beaucoup. C’est l’un de mes photographes et individus préférés. Je me réfère toujours à son travail lorsque je réfléchis à ma pratique. J’essaie de ne pas tomber dans une quelconque tendance, dans ce qui est à la mode. Je veux vraiment penser au travail que je produis et non seulement produire du contenu.
Puis il y a certains livres que je regarde toujours avant de partir en tournée : Festivals Are Good de Cheryl Dunn, A Period of Juvenile Prosperity de Mike Brodie et le projet « Kids of Hate and Love » de Mike Belleme, entre autres.
Dans tes images, un certain esprit rock’n’roll transpire, mais les moments sensibles ont leur place. Comment saisis-tu ces deux atmosphères ?
J’essaie de ne pas être intrusif quand je prends des photos. Je suis très sélectif sur les moments où je sors mon appareil photo. Je ne mets jamais en scène des images et je ne demande à personne de recréer une scène. Je pense que c’est important pour moi de créer de véritables moments. Il y a aussi beaucoup d’images que je n’ai jamais choisi de montrer.
Comment trouves-tu ces moments de calme dans le rythme effréné de tes tournées ?
On peut trouver la solitude dans un endroit bruyant. Il suffit de prendre un peu de recul.
En documentant ces moments, dois-tu t’en exclure ?
Oui, je choisis de m’exclure. Je n’ai jamais partagé un autoportrait réalisé en tournée. J’espère que ce n’est pas ringard, mais je veux exister à travers mes photos. Je veux qu’on reconnaisse mes images sans que je sois dans le cadre.
Quel est ton rôle quand tu documentes la vie de tes proches ?
Mon rôle est d’immortaliser les moments d’amour, de bonheur, de tristesse, d’aventure, de recherche de soi, d’intimité et de connexion humaine. Un jour, je pourrais m’en souvenir et partager ces instants avec des amis, des étrangers, et peut-être qu’ils pourront se reconnaître, et partager ces sentiments.
Une chanson pour résumer ton travail ?
Stay A Little Longer
de Brothers Osborne
Stay all night, stay a little longer,
Dance all night, dance a little longer,
Pull off your coat, throw it in the corner,
Don’t see why you can’t stay a little longer.
© Alec Castillo