Sur YouTube, des personnages cultes de dessins animés (Jimmy Neutron, Bob l’éponge, Le Roi Lion) sont détournés par des animateurs 3D. Volontairement laides et souvent puériles, ces vidéos au montage rudimentaire illustrent ce qu’on appelle la « bad animation ». Cet article, rédigé par Maxime Delcourt, est à retrouver dans notre dernier numéro.
Avec plus de 860000 abonnés et des vidéos visionnées plus de 75 millions de fois, le Suédois Surreal Entertainment est un champion d’un genre qu’il tente de définir ainsi : « La bad animation est quelque chose qui, au sens le plus objectif du terme, ne semble pas professionnel et n’a pas de but réel, si ce n’est de mixer avec un kitsch et un amateurisme apparent ce qui a pu être produit par différents médias. » Les caractéristiques principales d’une bad animation étant, selon lui, des images préexistantes, un humour puéril, des montages étranges, des effets à la limite du vulgaire, quelques allusions sexuelles, et une façon singulière de parodier les héros télévisuels des trois dernières décennies.
À l’heure du culte de la beauté et de la démocratisation des outils informatiques, favorisant de fait la qualité des projets auxquels nous sommes quotidiennement exposés, YouTube serait ainsi devenu une sorte d’immense cabinet de curiosités, l’un des derniers refuges permettant de célébrer le kitsch et le médiocre.
© Surreal Entertainment
Pop culture créative
Et Surreal Entertainment n’est pas un cas isolé. Dans son approche comme dans ses références, il s’inscrit même dans une tendance au sein de laquelle on retrouve également Seinfeldspitstain, Pamtri ou Cyber 8. « Je dirais que la bad animation tire son inspiration d’une série comme Salad Fingers [de David Firth, ndlr] ou des animations de David O’Reilly, mais qu’elle a réellement pris forme via une chaîne YouTube dénommée Chriddof, explique Cyber 8. Son contenu était aléatoire, étrange et sous-estimé. J’ai fortement été inspiré par son travail lorsque j’ai commencé mon activité, avant de découvrir d’autres artistes qui proposaient le même contenu avec des thèmes plus sombres. J’ai alors compris que la bad animation permettait de tout tester : d’être drôle, artistique, étrange, plus ludique que sérieux. » Selon lui, « pour se lancer, il suffit d’en savoir assez sur la pop culture et d’être créatif ».
© Cyber 8
Le succès sur YouTube des expérimentations visuelles toujours plus délurées de ces vidéastes DIY a beaucoup valorisé la prise de risque et l’innovation dans le domaine de l’animation 3D. Aujourd’hui, les vidéos réalisées sur Blender (un logiciel libre et gratuit d’animation 3D) par Surreal Entertainment, Timotainment, Seinfeldspitstain, Pamtri ou Cyber 8 constituent un laboratoire visuel que les internautes ne manquent pas de saluer – on compte par millions le nombre de visionnages de ces vidéos aux univers rétrofuturistes inspirés de la pop culture, des jeux vidéo et des dessins animés des années 1980 et 1990. Avec toujours cette esthétique kitsch qui trahit chez les auteurs un certain attrait pour le mauvais goût, le culte des images laides, des montages maladroits et des mixages sonores parfois trop bruyants.
De là à considérer les vidéastes de la bad animation comme incapables de donner vie à un graphisme autrement plus sophistiqué que ce que pourrait proposer un novice en informatique, il n’y a qu’un pas que l’on se gardera de franchir. Surreal Entertainment explique à ce propos : « Réaliser une vidéo me prend entre dix et qua- torze heures de travail en fonction de la longueur, de la complexité du montage, et du nombre de personnages que je dois modéliser. Beaucoup pensent que ces vidéos peuvent être réalisées en quelques minutes à peine, mais de nombreuses étapes sont nécessaires pour produire une vidéo, de l’idée initiale au produit fini. »
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans le Fisheye #37, en kiosque et disponible ici.
© Pamtri
© David O’Reilly
Image d’ouverture : © Pamtri