Régler l’addiction : Nicolas Serve soigne son alcoolisme

Régler l’addiction : Nicolas Serve soigne son alcoolisme

Dans Éthanol, une série sombre et torturée, le photographe Nicolas Serve fait état de son addiction à l’alcool, et de sa guérison rendue possible grâce à la photographie. Une œuvre poignante explicitée par la plume de Christian Caujolle. Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.

C’est en pratiquant la photographie que la maladie s’est peu à peu installée, puis imposée. Avant que la photographie n’accompagne également la guérison. On pourrait, de façon lapidaire, résumer ainsi un parcours, un moment de vie, qui a produit un ensemble d’images difficiles à classer tant elles pourraient relever de bien des domaines, du document à la fiction, de l’introspection à la mise en évidence, du témoignage au carnet intime, de la simple impression à l’approche graphique. Ce n’est ni un récit, ni une démonstration, ni une narration, ni une tentative d’explication. Plutôt une façon de rassembler des éléments épars et pourtant tous liés pour restituer à la fois, le temps d’une expérience, des échos de vie, des visions, les mettre à plat, les articuler sans les contraindre. En sachant certainement qu’elles constituent d’abord un souvenir déterminant et probablement impossible à partager, parce qu’unique, même si des milliers de gens en ont fait et en font encore l’expérience. 

© Nicolas Serve

Nicolas Serve est né en 1990 et il a, dès 2014, réalisé un long travail photographique sur la résurgence des bidonvilles en Île-de-France, faisant écho à l’appel de l’abbé Pierre. Il a ainsi développé des travaux sur les questions sociales, suivi l’actualité politique, construit des sujets sur les questions environnementales, essentiellement aux États-Unis. Cofondateur et membre du comité éditorial du média Disclose, il poursuit en parallèle ses projets de photographie documentaire aux États-Unis et en Corse, travaux qu’il enrichit de captations sonores et vidéo. Sa pratique de la photographie au quotidien ainsi que sa couverture effrénée d’une actualité politique l’ont amené, alors qu’il était tout jeune, à vivre dans une communauté où, il le dit lui-même, d’inaugurations en pots amicaux, de fêtes en fatigue et en stress, l’alcool a pris sa place. Jusqu’à l’excès, jusqu’à la chute, qu’il analyse aussi avec des antécédents :

« Un jour, alors que j’avais 14 ans, un psychiatre pas très consciencieux a jugé bon de me prescrire du Lexomil pour une crise d’adolescence un peu tumultueuse, une pratique somme toute assez courante au milieu des années 2000. Riche idée pour un cerveau dont la chimie n’est pas complètement développée, pour un esprit qui se doit d’affronter la frustration, la contradiction pour se forger des défenses immunitaires psychiques face aux divers tracas de la vie. Depuis ce jour, je vis sous cloche. La réalité est rendue inopérante par un rideau chimique imperméable. J’ai bien essayé d’arrêter tout seul, et j’y suis parfois même parvenu, mais pour finalement mieux replonger. C’est ce que les médecins appellent “l’effet rebond”. L’arrêt de la molécule est bien toléré dans un premier temps, mais les symptômes qui jusque-là étaient maintenus en berne réapparaissent sur le long terme et obligent le patient à reprendre son traitement. Cet épisode, à un moment si décisif de mon adolescence, m’a plongé dans une spirale infernale où chaque contrariété était soulagée par la prise d’une substance. Pendant longtemps, l’alcool et les comprimés avaient pour mission de rendre la réalité digeste et intelligible, jusqu’à ce mercredi 9 janvier 2019. »

© Nicolas Serve

C’est la date du début de la cure dans une clinique. Sans vrai projet mais, « pour faire écran avec la réalité du sevrage », il avait emporté un petit appareil photo. Ce sera du noir et blanc, qu’il peut développer lui-même mais également parce que cette abstraction, même si elle le met en forme, « tient le réel à distance ». L’editing, qui aboutira à une série de photographies associées à des documents, des radiographies, des éléments médicaux techniques, fournira la matière à une version vidéo, à des expositions, produira un ensemble tout à fait singulier plusieurs fois primé. Un « objet » autobiographique qui ne dit pas son « je », qui travaille le grain photo- graphique, le gris, qui ne développe pas une esthétique mais qui s’impose par une tonalité tendue entre documents bruts et images que nous lisons comme symboliques. Avec un contrôle étonnant, une conscience de la forme qui ne correspond en rien à une dramatisation. Un bel exemple en est donné avec le fait que, comme il doit respecter l’anonymat des autres patients de la clinique, là pour décrocher, qui de l’alcool, qui de diverses drogues, qui des deux, il ne se contente pas de masquer leurs yeux mais poursuit la bande noire sur toute la longueur de l’image, « pour faire quelque chose de beau avec cette contrainte ». 

 

Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #54, disponible ici

© Nicolas Serve

© Nicolas Serve© Nicolas Serve

© Nicolas Serve

© Nicolas Serve© Nicolas Serve

© Nicolas Serve

© Nicolas Serve© Nicolas Serve

© Nicolas Serve© Nicolas Serve

© Nicolas Serve

Explorez
Tour, street style et avortement : nos coups de cœur photo de mars 2025
The Tower © Xiaofu Wang
Tour, street style et avortement : nos coups de cœur photo de mars 2025
Expositions, immersion dans une série, anecdotes, vidéos… Chaque mois, la rédaction de Fisheye revient sur les actualités photo qui l’ont...
28 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les images de la semaine du 17 mars 2025 : Arles, Agnès Varda et souvenirs
The Tower © Xiaofu Wang
Les images de la semaine du 17 mars 2025 : Arles, Agnès Varda et souvenirs
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, nous vous parlons de la programmation des Rencontres d’Arles, de la rétrospective que le musée...
23 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Steph Wilson : Une provoc' à soi
Self (WIP) © Steph Wilson
Steph Wilson : Une provoc’ à soi
Entre satire esthétique et image de mode, l'artiste britannique Steph Wilson compose sa série d’autoportraits Self (WIP), un work in...
20 mars 2025   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Des champs de courses aux défilés : l’histoire de la photographie street style
© Séeberger Frères, Les comtesses de Vitrolles et de Miramont au champ de courses, 1925-1930, tirage gélatino-argentique, Achat, coll. Ufac, 1977 / musée des Arts décoratifs
Des champs de courses aux défilés : l’histoire de la photographie street style
Rituel incontournable de la Fashion Week, les clichés pris aux abords des défilés constituent un genre à part entière dont les origines...
19 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Au musée de Pont-Aven, Corinne Vionnet sonde la répétition des images
© Corinne Vionnet
Au musée de Pont-Aven, Corinne Vionnet sonde la répétition des images
Jusqu’au 4 mai 2025, le musée de Pont-Aven présente Écran total de Corinne Vionnet. L’exposition rassemble plusieurs séries de l’artiste...
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Arielle Bobb-Willis célèbre la vie
© Arielle Bobb-Willis
Arielle Bobb-Willis célèbre la vie
Issue du mouvement de l’avant-garde noire contemporaine que nous présentons dans notre dernier numéro, Arielle Bobb-Willis capture le...
28 mars 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Tour, street style et avortement : nos coups de cœur photo de mars 2025
The Tower © Xiaofu Wang
Tour, street style et avortement : nos coups de cœur photo de mars 2025
Expositions, immersion dans une série, anecdotes, vidéos… Chaque mois, la rédaction de Fisheye revient sur les actualités photo qui l’ont...
28 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Frida Forever : interroger le validisme en images
© Frida Lisa Carstensen Jersø Fisheye
Frida Forever : interroger le validisme en images
Le livre Frida Forever de Frida Lisa Carstensen Jersø explore la vie avec une maladie chronique entre autoportraits et mises en scène....
27 mars 2025   •  
Écrit par Costanza Spina