Dans son édition de janvier, la rédaction de Vogue Italie a choisi de ne produire ni de publier aucune photo, lançant ainsi le débat sur l’impact environnemental des shootings photo. Une question jusque-là peu abordée. Cet article, rédigé par Sofia Fisher, est à retrouver dans notre dernier numéro.
Le coup médiatique est passé relativement inaperçu de ce côté des Alpes. « Aucun shooting photo n’a été nécessaire à la création de ce numéro », la mention était en exergue des sept versions de la une du Vogue Italie de janvier. Le magazine de mode de référence était – pour la première fois de son histoire – illustré au crayon et au pinceau. Emanuele Farneti, son rédacteur en chef, explique avoir pris cette décision « dans un souci d’honnêteté intellectuelle », parce que les shootings photo polluent beaucoup. Son édito, surprenant dans sa mise à nu, en détaille le coût écologique catastrophique : « 150 personnes impliquées, environ 20 voyages en avion et une douzaine en train, 40 voitures mobilisées, 60 livraisons internationales… les lumières – en partie alimentées par des générateurs à essence – allumées au moins dix heures d’affilée. » Sans oublier le gâchis de nourriture, de plastique pour emballer les vêtements, d’électricité pour recharger les téléphones et les appareils photo…
« Évoquer la crise climatique est devenu tendance, surtout dans ce secteur », concède l’édito. Et si Vogue a repris ses habitudes dès le mois suivant – hormis l’engagement de ne plus emballer ses magazines dans un plastique non compostable – il aura eu le mérite de poser des questions jusque-là peu abordées. Comment la mode, « avec son besoin obsessionnel de nouveauté et son fétichisme de possession », écrit Emanuele Farneti, peut-elle se prétendre durable ? Même quand elle s’efforce de mettre en avant des produits écoresponsables…, ne faudrait-il pas s’interroger sur l’impact environnemental des shootings ?
Coût environnemental
« La prise de position est assez courageuse », estime Chloé Cohen, journaliste dans la mode durable et créatrice du podcast Nouveau Modèle. « Montrer les coulisses de la mode, alors qu’elle doit faire rêver, c’est compliqué. On n’est pas censé voir que pour cette belle photo, on a tant pesé sur la planète et rejeté autant de CO2. » Elle explique que si de plus en plus de marques s’interrogent sur le coût environnemental de leurs produits, le débat sur l’impact de leurs shootings, lui, semble encore lointain. « C’est un sujet qui n’est absolument pas abordé, même lors des conférences sur ce type de thématique », assure la journaliste. Pourtant, les deux questions sont liées : « Je ne vois pas comment on peut prétendre être une marque de maillots de bain responsable et envoyer toute une équipe aux Maldives, en plein hiver, pour shooter une collection », précise Chloé Cohen.
Dans les agences photo parisiennes, on le concède à demi-mot : « En réalité, l’impact écologique des shootings n’est pas un sujet de discussion », nous expliquent plusieurs directeurs. En off, comme un secret honteux, se racontent des histoires de robes qui voyagent de Chine jusqu’en Afrique du Sud par conteneur, parfois en plusieurs morceaux, emballés par de multiples couches de plastique ; de lampes au fuel qu’il faut alimenter sans cesse durant des séances nocturnes ; de buffets gargantuesques auxquels personne ne touche et qui finissent à la poubelle. Mais si ces habitudes changent lentement, ce n’est pas pour des raisons écologiques. « L’environnement n’est pas la seule chose qui a contribué à ralentir la mode, tempère Olivia Delhostal, cofondatrice de l’agence Modds avec Marie Delcroix, en 2011. C’est surtout parce que les magazines ont des difficultés financières, même les plus importants, car les annonceurs se raréfient. Moins d’argent, ça veut dire moins de superproduction. Du coup les magazines tentent de se mettre à la page, et de se justifier avec l’écologie. »
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #41, en kiosque et disponible ici.
Image d’ouverture © Paolo Ventura