Sujets insolites ou tendances, faites un break avec notre curiosité de la semaine. Avec son Tarot XXI, la photographe Roxane Moreau imagine un jeu de cartes en phase avec les revendications de notre société contemporaine.
« La photographie me permet de témoigner de l’époque que je traverse. Grâce à elle, je peux contribuer à partager une vision que j’estime de ce qui m’entoure. À encourager ceux qui auraient baissé les bras à reprendre leur vie en main pour contrer les scénarios de vie inconscients »
, déclare Roxane Moreau. Se destinant d’abord à être pâtissière, la photographie d’origine réunionnaise s’est finalement tournée vers le 8e art à 21 ans. Soucieuse de « mettre la main à la pâte », elle se lance, en autodidacte, et multiplie les stages – dans des galeries d’art et des studios – avant d’être embauchée comme assistante plateau. Un parcours qui la forme et affirme son regard. Aujourd’hui, l’artiste privilégie une approche réfléchie, préférant « prendre le temps de créer avec les autres – les maquilleurs comme les personnes qui posent pour [elle] », plutôt que de figer des instants du quotidien.
En couleur, l’artiste partage sa propre vision du monde, son univers avec une générosité touchante. « Je fais très peu de noir et blanc, car cela a tendance à créer de la distance avec l’image que l’on regarde. Je cherche justement à faire l’inverse, à rassembler », confie-t-elle. Un besoin d’inclure, dans son œuvre, les nuances de l’humain, tout en célébrant sa diversité qui transparaît dans Tarot XXI. Une réinterprétation contemporaine du célèbre jeu de cartes, dévoilant une mosaïque de personnages aussi atypiques que majestueux.
Construire un tarot inclusif
Composé de 78 cartes, dont 56 mineures et 22 arcanes majeurs, le tarot est né en Italie du Nord, en 1441, créé pour les Visconti, une famille noble qui adorait les jeux de cartes. « C’est Marseille, notre capitale du soleil qui se l’est appropriée quelques siècles plus tard », précise Roxane Moreau. Peintes à la main, sur des planches en bois recouvertes d’or et de pigments précieux, les cartes étaient, à l’époque, réservées à l’élite et constituaient un moyen de parader, d’afficher sa richesse auprès d’autrui. « Si vous observez le jeu, vous découvrirez qu’on n’y trouve aucun boulanger ni paysan, mais seulement des figures et croyances nobles de l’époque : le Pape, l’Empereur, l’Impératrice, la Justice, etc. », poursuit la photographe.
En mettant le tarot au goût du jour, celle-ci détourne, avec humour, cet héritage aristocratique. Sur les cartes imaginées par Roxane Moreau, les corps, les genres, les orientations sexuelles s’affichent fièrement, représentant le spectre de nos différences avec panache. Un pied de nez amusant aux origines du jeu. « J’avais envie de représenter au maximum les acteurs de ma génération », explique-t-elle. Royaux, ses modèles deviennent les emblèmes d’une époque mue par ses revendications. Plusieurs siècles plus tard, les choses ont-elles véritablement évolué ? Les minorités sont-elles intégrées à la société ? Et qu’en est-il de la répartition des richesses ? En construisant un tarot inclusif, la photographe met en lumière les incohérences du monde moderne, et offre aux communautés les plus effacées une plateforme pour s’exprimer, se révéler, et briller, sans crainte du moindre jugement. « Dans l’étymologie du mot esthétique, on retrouve l’idée des sensations procurées par ce que l’on voit, et mon envie était que lorsque l’on tient le tarot en main – car il a vraiment été réalisé ! – on puisse s’imaginer devenir une sorte de héros de son propre jeu, et donc de sa propre vie », conclut l’artiste.
© Roxane Moreau