Ce que cache l’uniformité : plongée dans le monde de Mária Švarbová

17 février 2022   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Ce que cache l'uniformité : plongée dans le monde de Mária Švarbová

Dans Swimming Pools, la photographe slovaque Mária Švarbová confond ses souvenirs d’enfance, empreints de l’ère soviétique, à la modernité. Une façon ingénieuse et esthétique de souligner l’importance de la coordination des mouvements, quelles que soient les causes défendues.

Un beau jour de 1988, une petite ville de Slovaquie a vu naître Mária Švarbová. Nous sommes alors un an avant la fin du régime soviétique. Et si la photographe n’a jamais connu le monde communiste, les lieux dans lesquels elle évolue en portent encore les stigmates. Architecture, design, attitude et mode de vie… « Des scènes comme celles évoquées dans “At the Doctor” ou “In the Butcher” sont mes souvenirs d’enfance. Je les chéris tout particulièrement, et j’essaye de les immortaliser dans mes séries. Quelquefois, je parviens à montrer aux autres ce que j’ai vu ou vécu », explique-t-elle. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que Swimming Pools – son dernier ouvrage paru aux éditions The New Heroes and Pioneers – soit largement imprégné de cette ère révolue. Car les populations d’Europe de l’Est n’ont pu oublier cette époque totalitaire.

Comme marquée par cette sombre période qu’elle n’a pas connue, enfant déjà, Mária Švarbová souhaitait s’exprimer. Et ce, à travers la création. Oscillant entre les médiums, ce n’est qu’il y a une dizaine d’années de cela que l’artiste s’est éprise du 8e art. Autodidacte, elle s’est formée en adhérant aux préceptes des photographes qu’elle admirait, suivant son instinct pour développer sa propre signature. « J’oserai dire que l’intégralité de mon livre me décrit, car j’essaye de générer de l’authenticité et non des copies de quelque chose qui existe déjà… J’évite d’adopter des tendances », nous indique-t-elle.

© Mária Švarbová© Mária Švarbová

La nostalgie du passé

Et dès les prémices de sa carrière, Mária Švarbová a toujours photographié les personnes qui l’entouraient, les inconnus qu’elle croisait. « Les gens sont ma principale source d’inspiration, confie-t-elle. Ils me fascinent. L’espace ne fait pas sens sans les humains qui l’habitent. Il devient vide, quelque chose manque… Et inversement, les individus n’ont aucune raison d’être en dehors du cadre dans lequel ils se situent. C’est comme s’ils ne pouvaient correspondre à aucun autre endroit que celui dans lequel ils se trouvent. » Dans chacune des séries qui composent Swimming Pools, l’artiste cherche ainsi à créer un équilibre entre ses sujets et les bâtisses minimalistes qu’elle capture.

Car les structures de l’ex-URSS appartiennent aux courants brutalistes et fonctionnalistes. Lignes droites épurées, géométrie répétitive, symétrie assumée, espaces pensés selon des besoins et non d’une esthétique particulière… Tous ces éléments du milieu du siècle dernier concourent à développer son style singulier, très cinématographique. Ayant le souci du détail, elle assortit même les tenues de ses modèles à cet environnement. Leurs maillots de bain unis leur confèrent une part d’universel, familier de cette période pas si lointaine, mais également d’intemporalité, teintée de science-fiction. La modernité s’écrit dans la nostalgie du passé, mais n’en est guère une reproduction. Il s’agit davantage d’un « monde parallèle » qui nous incite à solliciter notre imagination.

© Mária Švarbová© Mária Švarbová

La synchronisation des mouvements

Dans cet univers, les visages sont neutres, de telle sorte à ce que le spectateur puisse esquisser les émotions qu’il souhaite sur ces figures éteintes, médiums entre lui et l’image. Mais l’artiste désire tout autant l’interroger sur les rôles invétérés que chacun de nous joue dans la société. « J’adore l’aspect unique de chaque être humain et j’apprécie l’individualité, déclare Mária Švarbová. Mais, en parallèle, je suis également captivée par l’uniformité des gens qui forment une masse. Cela me fascine visuellement parce qu’il y a cette synchronisation, cette symétrie que l’on retrouve aussi sociologiquement. J’y vois de l’égalité. À mon avis, cela peut s’appliquer à différents mouvements, car l’uniformité est synonyme de coordination et d’harmonie. »

Adepte des contrastes lorsqu’elle « traite de sujets plus compliqués ou effrayants », Mária Švarbová est influencée par la conjoncture de notre monde. Engagements féministes, manifestations Black Lives Matter… La synchronisation des mouvements – en natation comme dans les luttes sociales – semble toujours jouer un rôle-clé. Même si l’originalité de chacun – visible par quelques maillots qui diffèrent dans leur forme – n’en demeure pas moins essentielle, comme elle le prône tout au long de son ouvrage. Car ce sont ces distinctions, associées à des valeurs communes, qui insufflent la force nécessaire à l’élaboration ou la défense de tout projet. Une façon ingénieuse de rappeler que l’individualisme n’a de sens que lorsque celui-ci s’inscrit dans le respect de la collectivité et des droits de chacun.

Swimming Pools, The New Heroes and Pioneers Editions, 72 €, 256 p.

© Mária Švarbová© Mária Švarbová
© Mária Švarbová© Mária Švarbová
© Mária Švarbová© Mária Švarbová
© Mária Švarbová© Mária Švarbová
© Mária Švarbová© Mária Švarbová

© Mária Švarbová

Explorez
Marc Riboud : dix ans de conflit vietnamien dans une exposition
À la sortie de l'école dans un village de la côte, Nord Vietnam, 1969 © Marc Riboud / Fonds Marc Riboud au musée Guimet
Marc Riboud : dix ans de conflit vietnamien dans une exposition
Le musée Guimet des Arts asiatiques et l’association Les Amis de Marc Riboud s’unissent pour présenter l’exposition Marc Riboud –...
18 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Basile Pelletier et Sølve Sundsbø conversent : « La curiosité est ma principale source d'inspiration »
Le linge, 2021 © Basile Pelletier
Basile Pelletier et Sølve Sundsbø conversent : « La curiosité est ma principale source d’inspiration »
Le jeune talent Basile Pelletier, 21 ans, ancien élève de la section art et image de l’école Kourtrajmé, échange avec le photographe...
17 avril 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
La sélection Instagram #502 : rebelle un jour, rebelle toujours
© Piotr Pietrus / Instagram
La sélection Instagram #502 : rebelle un jour, rebelle toujours
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine font résistance. Résistance contre l’oppression, contre les diktats, contre les...
15 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Fotohaus Bordeaux 2025 : des existences engagées
© Olivia Gay
Fotohaus Bordeaux 2025 : des existences engagées
La quatrième édition de Fotohaus Bordeaux a commencé. Jusqu’au 27 avril 2025, l’Hôtel de Ragueneau accueille l’événement qui, cette...
12 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les photographes dans Fisheye célèbrent la Terre, sa fragilité et sa grandeur
Camsuza © Julie Arnoux
Les photographes dans Fisheye célèbrent la Terre, sa fragilité et sa grandeur
Les photographes publié·es sur Fisheye ne cessent de raconter, par le biais des images, les préoccupations de notre époque. À...
À l'instant   •  
Écrit par Marie Baranger
La sélection Instagram #503 : les pieds sur Terre
© Garrison Garner / Instagram
La sélection Instagram #503 : les pieds sur Terre
À l’occasion de la journée de la Terre, les artistes de notre sélection Instagram de la semaine célèbrent notre planète. Iels...
Il y a 5 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Dans l'œil de SMITH : métamorphose des sols
Dami (Fulmen) © SMITH pour la résidence INSTANTS, Château Palmer et Leica, 2024
Dans l’œil de SMITH : métamorphose des sols
Aujourd’hui, plongée dans l’œil de SMITH, qui nous révèle les dessous de deux images issues de sa série Dami (Fulmen), réalisée lors de...
21 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #540 : Rosalie Kassanda et François Dareau
© Rosalie Kassanda
Les coups de cœur #540 : Rosalie Kassanda et François Dareau
Nos coups de cœur de la semaine, Rosalie Kassanda et François Dareau, arpentent les rues du monde en quête de quelques étonnements et...
21 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger