Édité chez sun/sun éditions, Dysnomia nous emporte au plus profond de la matière. Une boucle aussi chaotique que sensitive signée Alexandre Dupeyron. Un voyage où les noirs profonds résonnent avec l’intensité des mots.
Nature fragmentée, foule en délire, volcan en effusion. Un visage sombre, puis des mains lumineuses. On croit apercevoir des silhouettes prenant la fuite aussi. Et puis soudain, un rayon lumineux nous indique un chemin. Un chemin parmi tant d’autres.
Voir, voir, voir.
Mais que voir au juste ?
Voir, voir, toujours voir… Mais comment faire quand nous naviguons la nuit, dans un noir profond ? Alexandre Dupeyron titille notre perception. Mieux encore, il la dérègle, et propose des rituels d’apparition. Ses images voilent, et dévoilent une « amnésie sélective » qu’il nomme Dysnomia. Un ouvrage, publié aux éditions sun/sun faisant l’expérience de la matière, matière devenue ici anarchie. Comme toujours, Céline Pévrier – la directrice de la maison d’édition – parvient à trouver un délicieux équilibre entre le fond et la forme, entre les images et les mots. Car cet ouvrage est singulier à plus d’un titre. Une vision panorama abstraite court depuis la première de couverture jusqu’à la quatrième, annonçant que l’intrigue qui va suivre sera elle aussi originale. Et puis, lorsqu’on ouvre les pages de ce cahier souple, on s’en prend plein les yeux. On s’enivre du désir de la rêverie, pour reprendre les mots de l’auteur. Telle une danse hypnotique, les images s’enchaînent et se déchainent si bien qu’assez intuitivement, on bascule l’objet à l’horizontale, pour ne surtout pas casser la boucle. Et puis presque par hasard, dans les replis de certaines pages, on croise des mots, des intentions. « Fixer le suspendu / Remuer la rétine / Un net conscient / Négation de la persistance / Effondrement / Voir le jour »
Une unité foudroyante
Que se cache derrière l’indicible ? Comment représenter l’étrangeté ? Comment travailler son regard quand on voit trop ? Lorsqu’on ne voit plus, qu’on ne sait plus et que s’installe le désordre ? Car le titre du projet, qu’il nous faut chercher sur le dos du livre, renvoie à Dysnomie, déesse grecque – fille d’Éris et personnification de l’anomie, soit l’absence d’organisation ou de loi, disparition des valeurs communes à un groupe. On définit aussi la dysnomie comme étant une variété d’aphasie dans laquelle le sujet est incapable de nommer des objets. Dans ce chaos des sensations et des idées règne pourtant une unité foudroyante. Tout est à sa place, assemblé avec cohérence. « Par son œuvre, Alexandre Dupeyron a constitué entre ses séries d’ininterrompues conversations d’où il se dégage la sensation d’une matière universelle comme un trou noir », commente François Cheval dans son texte, situé à la fin de l’ouvrage. Si le projet d’Alexandre Dupeyron sonne comme une quête existentielle interminable, on sait pertinemment que le chemin importe plus que l’arrivée. On se nourrit de ses va-et-vient entre l’urbain et la nature, entre le micro et la macro, et entre l’organique et le minéral pour finalement nous interroger sur l’origine de la matière, tout comme le photographe. « C’est dans la substance même qu’il nous faut rechercher la nature de ce que nous sommes, et dans l’essence des choses, éléments inséparables », confirme le commissaire d’expositions.
Dysnomia, Sun/sun édition, 126 p., 65 €.
© Alexandre Dupeyron