« La guerre est devenue un objet de consommation, pourtant elle n’est pas un fait divers », déplore Stephen Dock. Et ce dernier sait de quoi il parle. Syrie, Mali, Egypte, Liban, ou encore Népal, ce photographe mulhousien de 30 ans s’est rendu aux quatre coins du monde afin de documenter les dysfonctionnements de nos sociétés, et les mouvements sociaux et guerres qui s’en sont suivis. Une passion pour la photographie et la guerre apparue à ses 17 ans. « J’ai eu une véritable illumination après avoir regardé le film de James Nachtwey, War photographer. Mon objectif à cette époque ? Aller à la guerre, se souvient-il. Chaque retour en France était difficile. Je tentais de vendre mes images et de me faire connaître. Un jour, j’ai même décidé de me tourner vers ma seconde passion, le skate, et j’ai ouvert un magasin. Un échec cuisant. J’ai donc replongé dans mes cartons et repris la photo ». Une heureuse intuition puisqu’il intègre ensuite l’Agence Vu, multiplie les publications dans la presse française et internationale, expose en festivals et se fait remarquer lors du Prix Leica Oscar Barnack 2018.
« Les faits divers ont pour effet de faire le vide politique, de dépolitiser et de réduire la vie du monde à l’anecdote qui peut être national ou planétaire en fixant et retenant l’attention sur des événements sans conséquences politiques, ils pourront même être dramatiser pour en tirer ou pour les transformer en problèmes de société », Pierre Bourdieu, Sur la télévison, Raisons d’agir, 1996.
Un objet de rupture
Avec Human Interest Stories, son premier ouvrage publié aux éditions Sometimes il se replonge dans cinq ans d’archives. « Toutes les images ont été réalisées dans le cadre de commandes. Cinq ans durant lesquels j’ai été guidé par le marché », confie-t-il. Stephen Dock signe pourtant ici un objet intime et introspectif, composé à partir d’images piquantes, et justes. « Pourquoi photographier la guerre si ce n’est pour remplir des doubles pages dans les magazines et flatter son égo ? Un photographe de guerre est-il désormais comme un voyeur ? », les interrogations s’enchaînent. Et s’il n’est jamais certain de trouver la « bonne » réponse, il est persuadé qu’il est nécessaire d’amener les gens à regarder différemment le conflit, à les confronter.
« On a tendance à oublier l’humain sur les zones de conflit. La guerre ne se résume pas à la ligne de front. On ne regarde pas la guerre de la bonne façon, explique-t-il. Les images suggestives perturbent plus que les images violentes ». En témoigne par exemple la double page située au milieu du livre et représentant un bain de sang. « Il s’agit surtout de la seule image qui ne convoque pas les hommes. Ici, ce n’est pas la guerre, juste le quotidien… ». Idem concernant le dernier cliché. « Cette photo “tolérablement visuelle” est la plus douce que j’ai faite représentant la mort ». Cette quête de sens l’amène à interroger sa propre écriture si bien qu’il peine à se ranger dans une case. Le tabou du photojournaliste serait-il enfin brisé ? Human Interest Stories apparaît comme un objet de rupture donc. Une rupture entamée depuis un certain temps déjà avec l’aide de ses mentors comme Stanley Greene, Gilles Peress ou Stéphane Duroy. Il apprend notamment de ce dernier que l’on peut enfreindre les règles. « Il m’a prouvé qu’on pouvait mélanger couleur et noir et blanc, et que l’on pouvait tout se permettre : éclater une photo, la recadrer, ajoute-t-il, mais mes photos doivent demeurer justes, et précises – dans l’intention comme dans la forme ». Un ouvrage à la lumière du personnage : curieux, et exigeant.
Human Interest Stories, Sometimes, 25 €, 24 p.
Un parcours à découvrir ce soir, à l’auditorium de L’Adagp à l’occasion d’une rencontre organisée par Gens d’images, et modérée par Philippe Guionie, photographe, enseignant et directeur de la Résidence 1+2 à Toulouse.
ADAGP
11 rue Duguay-Trouin –
75006 Paris
Métro Ligne 4 – station Saint-Placide
© Stephen Dock