Avec Out of the Darkness, le photographe français David Nissen imagine un monde monochrome peuplé de fantômes humains, proche de la dystopie, mais cependant habité d’un feu ardent.
« Out of the darkness a été composé suite à une déambulation, c’était un peu une page qui se refermait » , annonce David Nissen. À la manière de son « photo-roman » culte La Jetée de Chris Marker, le livre de ce cinématographe devenu également photographe apparaît comme une succession de souvenirs partiels et dénaturés, dont l’agencement raconte une histoire. On pourrait dire, en voguant au cœur des pages de l’ouvrage, qu’il correspond à une longue traversée de routes, de tunnels, de buildings de style passé ou futuriste, rythmé par des étapes dans des villes étranges, habitées par leurs habitants solitaires.
Ce livre, l’artiste l’a voulu en petit format mais pleine page, pour permettre une immersion complète dans cet univers dystopique – « Dystopia » a d’ailleurs failli être le titre de l’œuvre. « C’est l’histoire d’un regard dans une ville presque évanouie, où ne se trouvent que des fantômes humains », raconte David Nissen. Pour l’imaginer, le photographe est allé de capitales en grandes villes, en s’attachant à contempler les silhouettes fantasmagoriques qui habitent chacune d’elles.
Aimer l’obscurité
Dans ces images où se croisent photographie de rue et cinématographie, certains personnages endossent plusieurs rôles, dépendant d’un simple point de vue : de simples citadins, intégrés ou marginaux, ils prennent parfois l’apparence de spectres voire des mirages. Sont-ils menaçants ou paisibles ? Désœuvrés ou heureux ? Les personnages de Out of the Darkness – comme cet individu assis dans la rue, à la capuche fermée sur son visage – demeurent aussi insaisissables que leur silhouette qui se découpent, contrastant avec ces visions d’un monde brumeux.
Si l’on relève tout de même un paradoxe dans le fait de parler d’une « sortie des ténèbres » tout en rejetant la couleur de ses photographies, le photographe s’en justifie pourtant : « le titre Out of the Darkness, je l’ai adoré. Je trouve Dystopia plus juste mais trop négatif. J’avais envie de choisir un titre en hommage à la lumière, aussi », précise-t-il. Pour la réalisation de ce livre, David Nissen s’est beaucoup imprégné de films en noir et blanc, de Kurosawa notamment – beaucoup de ces images ont d’ailleurs été prises au Japon – ou même de l’art mystique et poétique de son cinéaste fétiche, Andreï Tarkovski. « Ce dernier est pour moi un maître en termes d’anticipation, de narration, de poésie. Je pense que ce qu’il fait est presque parfait, que ce soit dans ses images ou ses couleurs », affirme-t-il. On perçoit, aussi, l’importance qu’a pour lui le travail du grand coloriste Saul Leiter et son attachement à saisir un monde, flottant, presque abstrait, entre deux mondes. C’est finalement peut-être les souvenirs de ses propres rêves, peuplé de créatures mythiques, que David Nissen tente d’inscrire dans une réalité qui échappe au temps, ou à toute tentative de circonscription dans un espace figé.
David Nissen sortira prochainement un nouveau livre, Shadow’s Praise.
© David Nissen