Pour Glitter Blues, le photographe Lorenzo Castore s’est rendu dans les méandres des rues de San Berillo, à Catane. Un quartier rouge dont l’histoire fait singulièrement écho à celle de ses habitantes. Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.
Les projets du photographe italien Lorenzo Castore sont toujours dictés par la passion, et son ouvrage Glitter Blues, publié en novembre dernier, ne déroge pas à la règle. Une passion brûlante qui l’amène à s’immiscer dans les vies, toujours plus trépidantes, de ses sujets. À la marge de nos sociétés, ces personnes aux multiples facettes se livrent sans complexe devant son œil bienveillant. Car le regard de cet insatiable curieux ne dissimule aucune malice, seulement une grande tendresse. Une honnêteté qui l’a d’ailleurs fait tomber dans le 8e art dès 18 ans, sans savoir ce qu’il voulait faire de sa vie. « À l’époque, je ne m’intéressais pas à la photographie. J’ai eu une révélation en voyant l’exposition Exils de Josef Koudelka, à Florence. Ce médium que je pensais trop réaliste pouvait en fait montrer bien plus que la réalité. Il y ajoutait même du mystère », raconte-t-il. Lorenzo Castore n’y trouva rien de moins qu’une promesse de liberté, ce concept qui a nourri ses rêves de jeunesse. Avec une main sur l’appareil photo et l’autre sur le cœur, l’artiste plonge corps et âme, « avec le cerveau et les tripes », dans la vie de ses personnages plus grands que nature. « Je suis toujours poussé par une puissante attraction pour les gens. C’est la seule façon dont je choisis mes sujets. Cela me permet de transmettre la beauté absurde de la vie », poursuit-il.
En 2004, sa boussole interne le conduit à Catane, cité portuaire de Sicile. Un ami lui suggère d’aller se perdre dans les ruelles de San Berillo, le quartier rouge mythique de la ville où il rencontre ses habitantes, singulières et travesties. « Le quartier des girls semblait un territoire à part, comme une île sans la mer qui l’entoure, ou un château sans fortifications, se souvient-il. Dans ces quatre petites rues, l’intimité déborde sur le seuil des chambres du rez-de-chaussée qui s’ouvrent sur la ville. » Et c’est sur le seuil d’une de ces chambres qu’il rencontre Franchina. « Sa générosité informelle vous met vraiment à l’aise. Nous avons parlé un peu, j’ai demandé si je pouvais prendre quelques photos d’elle, puis j’ai continué ma promenade », raconte le photographe. C’est dans le même esprit, entre insouciance et curiosité, qu’il tombe nez à nez avec Cioccolatina. « Avec exubérance, elle m’a invité à entrer dans sa chambre, me promettant une expérience inoubliable. Elle a pris mon refus avec nonchalance, et nous sommes restés à discuter jusqu’à ce qu’un client arrive et que notre rencontre soit brusquement interrompue. » Et durant plusieurs années, chaque fois que Lorenzo est retourné à Catane, il refait le détour par ce quartier pour causer avec ces femmes dont le non-conformisme l’intriguait.
La souffrance d’Agathe
À partir de 2011, Lorenzo Castore intensifie ses voyages en Sicile, mais pour une tout autre raison : une passion naissante pour les fêtes de Sainte-Agathe. Sainte patronne de la ville, Agathe de Catane, était inscrite dans la tradition païenne de la Sicile avant d’intégrer le giron du catholicisme. Elle mourut en martyre après diverses tortures, dont une amputation des seins pour avoir refusé de se donner au proconsul de l’époque et de trahir sa foi. Chaque année, durant trois jours, début février, une immense procession parcourt la ville pour vénérer cette sainte. Des foules de jeunes gens, un cierge à la main, expriment leur dévotion et leur foi aveugle. Un spectacle qui hypnotise le photographe italien. « L’esprit païen de cette manifestation, cet abandon au mystérieux, associé à l’image de la jeune fille humiliée, torturée et amputée dans l’expression physique la plus symbolique de la féminité, a créé en moi un puissant court-circuit émotionnel. J’ai subitement fait le rapprochement entre la vierge et ces jeunes filles auxquelles la nature n’avait pas accordé de seins, mais des “organes génitaux excédentaires” », explique-t-il. La souffrance d’Agathe fait écho au conflit identitaire qu’éprouvent les girls de San Berillo. Une tension qui a fait d’elles les proies de discriminations.
Cet article est à retrouver en intégralité dans Fisheye #53, disponible ici.
© Lorenzo Castore