« This Empty World » : un monde qui sombre

16 août 2019   •  
Écrit par Julien Hory
« This Empty World » : un monde qui sombre

Dans son dernier ouvrage, This Empty World, Nick Brandt partage ses inquiétudes et sa colère face à un monde qui court à sa perte. Une œuvre puissante dans laquelle chacun se bat pour sa place. Mais pas toujours à armes égales.

« Annihilation imminente. Apocalypse du monde naturel. Rythme d’extinction croissant. Pour tout nouveau travail, je rédige une introduction autour de ces thèmes. Comment à chaque fois, ne pas laisser échapper le même cri de désespoir, de frustration et de rage ? » Dès les premières lignes de sa préface, Nick Brandt nous confie ses craintes. Dans des images sombres, il expose une faune absorbée par la terre et l’activité humaine. Dans cette cohabitation imaginaire, les animaux semblent être ignorés par les hommes qui les entourent. Si l’œuvre de Nick Brandt porte un message qui traduit une urgence absolue, c’est que le photographe est terrifié par l’immobilisme qui nous frappe. Il l’explique : « Il y a tant de mauvaises nouvelles que nous pouvons tolérer avant de nous effondrer (…) Et cela semble particulièrement le cas en ce qui concerne la destruction de la nature et de nos semblables. »

Mais ses images n’accusent pas. Plus qu’indifférents, les êtres humains apparaissent souvent résignés, exploités. Ici, il n’y a pas de prédateur intentionnel, il n’y a que des victimes. « Les vrais méchants — la majorité des politiciens, des industriels, avec leur attitude égoïste — sont hors-champ. » Nick Brandt a choisi l’Afrique de l’Est comme théâtre à ses mises en scène. Cette terre l’a tout d’abord fasciné par la diversité des êtres vivants qui parcouraient l’espace. Mais très vite, un constat amer s’est imposé. Cette partie du continent est en plein bouleversement. Elle avance au rythme des projets de constructions et ne cesse de prendre du terrain sur la nature. « À l’horizon 2050, la population du continent est estimée à près de 1,9 milliard ou plus. Dans ce scénario, il n’y a tout simplement pas assez d’espace pour que la majeure partie du monde naturel puisse survivre. »

© Nick Brandt

Menacés, pris au piège, inquiets

Pour réaliser ses images, Nick Brandt a dû changer ses habitudes. Alors qu’il ne cessait de répéter qu’il ne photographierait qu’en noir et blanc et en argentique, pour cette série Brandt est passé à la couleur et au numérique. La posture des animaux a également changé par rapport à ses travaux précédents. « Par le passé, explique-t-il, j’ai toujours recherché les images dans lesquelles les animaux semblaient posés pour leurs portraits en studio. (…) Pour cette série, les animaux devaient apparaître menacés, pris au piège, inquiets. » Quant au dispositif de captation et de production, le photographe a mis en place un procédé complexe divisé en plusieurs étapes.

Dans un premier temps, il choisit un endroit où les hommes et les animaux ont encore une relative proximité (ici au Kenya, dans un ranch Maasaï non protégé). Puis il construit un décor partiel qui lui permet de choisir ses focales et surtout d’installer ses lumières. Il y dissimule des boîtiers équipés de détecteurs de mouvements. Lorsque les animaux sont assez habitués à ces éléments exogènes pour s’approcher, les appareils photo et les lumières se déclenchent. Une fois les animaux capturés devant la caméra, les décors complets sont construits. Une seconde séquence est ensuite photographiée avec une distribution de personnes issues des communautés locales.  Les impressions finales sont un composite des deux éléments. Nick Brandt parvient ainsi à transcrire sa rage. Et à le lire, ce n’est pas près de s’arrêter : « Je me suis fait à l’idée que j’irai sur mon lit de mort en colère. Quel genre de monde vivrons-nous s’il est dépouillé de ses merveilles naturelles ? La réponse : un monde vide. »

This Empty World, éditions Thames & Hudson, 65€, 128 p.

 

© Nick Brandt

© Nick Brandt

© Nick Brandt

© Nick Brandt

© Nick Brandt

© Nick Brandt

© Nick Brandt

Explorez
Mikiya Takimoto, en quête d’équilibre
© Mikiya Takimoto
Mikiya Takimoto, en quête d’équilibre
Photographe et chef opérateur japonais, Mikiya Takimoto explore en permanence les possibilités de l’image. Paysages silencieux...
17 avril 2025   •  
Écrit par Milena III
BMW ART MAKERS : Raphaëlle Peria et Fanny Robin révèlent la nature qui disparaît
Raphaëlle Peria, Arpenter le passé, grattage sur impression sur papier cuivré, 40x60cm, 2025 © Raphaëlle Peria / BMW ART MAKERS
BMW ART MAKERS : Raphaëlle Peria et Fanny Robin révèlent la nature qui disparaît
Raphaëlle Peria et Fanny Robin, l’artiste et la curatrice lauréates de la quatrième édition du BMW ART MAKERS, ont ouvert les portes de...
11 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Le langage des fleurs selon des photographes de Fisheye
© Jana Sojka
Le langage des fleurs selon des photographes de Fisheye
Les photographes de Fisheye ne cessent de raconter les préoccupations de notre époque. Parmi les motifs qui reviennent fréquemment se...
20 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
La sélection Instagram #498 : timides bourgeons
© Ellie Carty / Instagram
La sélection Instagram #498 : timides bourgeons
Les journées rallongent, les rayons du soleil transpercent les nuages, les feuilles renaissent sur les arbres nus, les fleurs montrent le...
18 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les images de la semaine du 14 avril 2025 : mémoire et conversations
© Louise Desnos
Les images de la semaine du 14 avril 2025 : mémoire et conversations
C’est l’heure du récap ! Récits intimes, histoires personnelles ou collectives, approches de la photographie… Cette semaine, la mémoire...
À l'instant   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Eulogy : Sander Coers et les traumatismes intergénérationnels
© Sander Coers
Eulogy : Sander Coers et les traumatismes intergénérationnels
Au fil de ses projets, Sander Coers sonde la mémoire en s’intéressant notamment à l’influence que nos souvenirs exercent sur notre...
19 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
12 expositions photographiques à découvrir en avril 2025
© Delali Ayivi
12 expositions photographiques à découvrir en avril 2025
L’arrivée du printemps fait également fleurir de nombreuses expositions. Pour occuper les journées qui s’allongent ou les week-ends...
18 avril 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Marc Riboud : dix ans de conflit vietnamien dans une exposition
À la sortie de l'école dans un village de la côte, Nord Vietnam, 1969 © Marc Riboud / Fonds Marc Riboud au musée Guimet
Marc Riboud : dix ans de conflit vietnamien dans une exposition
Le musée Guimet des Arts asiatiques et l’association Les Amis de Marc Riboud s’unissent pour présenter l’exposition Marc Riboud –...
18 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger