Après un arrêt dans une tour EDF et une ancienne Poste, le Festival du Regard pose ses valises dans un centre commercial. Sylvie Hugues et Mathilde Terraube ont encore relevé un sacré pari. Filez avant le 27 novembre à Cergy-Pontoise pour découvrir la 7e édition du festival dont la thématique est Bonjour la nuit !
Alors que menace le black-out, et que le terme sobriété énergétique inonde les discussions et autres débats médiatiques, Sylvie Hugues et Mathilde Terraube – les deux directrices du festival – nous plongent dans la nuit photographique. « Un véritable défi pour ce médium, qui par définition, se nourrit de lumière » rappellent les deux cheffes d’orchestre. L’autre défi ? Investir un lieu qui n’a pas besoin de culture (et de photographie) pour briller : le centre commercial des 3 fontaines. Pour accéder aux vingt boutiques, devenues lieux d’exposition, il faut donc naviguer entre les plus grandes enseignes. Mais au bout du tunnel (de la consommation) apparaît toujours la lumière. Nous voici donc dans une des ailes désaffectées du centre commercial Cergy-Pontains. Un lieu atypique offrant 2000m2 de surprises : mobiliers et autres éléments de décoration abandonnés par les marques ayant quitté les lieux, normes de sécurités particulières, et autres contraintes techniques quant à l’éclairage et l’accrochage. Sans suspense, Sylvie Hugues et Mathilde Terraube prouvent une fois encore leurs talents de magiciennes. Dans une vingtaine de boxes d’exposition, elles rendent hommage à celles et ceux qui prolongent, questionnent et subliment la nuit.
Comme chaque édition, les directrices montrent quelques « photographes classiques ». Léon Gimpel ou Brassaï, pionniers de la pose longue, nous livrent des visions inédites de Paris. Correspondant au journal L’illustration, le premier immortalise les illuminations de Paris dans les années 1920 à travers un reportage couleur – un exploit rendu possible grâce à l’autochrome. Avec un noir profond de l’héliogravure, le second nous emmène en 1932-1933 auprès de celles et ceux qui vivent et travaillent la nuit : on y voit des cabarets, livreurs de lait ou encore imprimeurs de journaux… Pour découvrir les précieux tirages de René Burri, il faudra vous munir d’une lampe torche. Retour en 1965, nous sommes le 9 novembre, et une panne d’électricité s’abat dans les rues de New York. Une balade nocturne dans un véritable chaos. Ici, la pénombre l’emporte définitivement sur la lumière. La nuit, tous les corps sont gris. La preuve en image avec la mythique série The Park signée Kohei Yoshiyuki, décédé en début d’année. Une plongée en 1970 dans un parc public du quartier de Shinjuku, accueillant le jour des enfants innocents, et une fois le soleil couché, des amants en pleine action, face à une traînée de voyeurs. Une mise en abyme qui ouvre le débat : serait-il possible aujourd’hui de faire de telles images ? Dans la même lignée, les Dirty Windows de Merry Alpern révèlent les faces obscures des traders de Wall Street. Pendant six mois, elle photographie la fenêtre d’un club clandestin où s’échangent drogues, argent et baisers – un regard féminin sur les coulisses du pouvoir.
© Merry Alpern / Courtesy galerie Miranda
La nuit n’est pas toujours synonyme de ciel étoilé
Restons encore en Amérique avec Todd Hido qui capture lui aussi les mystères du pays. Ses modèles ? Des maisons anonymes et habitées qui affichent pourtant un vide sombre. Avec House Hunting, le festival du Regard expose la série qui a fait connaître l’artiste en 2001. Autre paradoxe, les images d’Evgen Bavcar. Le photographe slovène – aveugle depuis ses onze ans – nous ouvre surtout les portes de son monde intérieur sensible et étrange. Il n’est pas le seul a rendre compte de l’invisible. Comment, en 660 avant notre ère, les pharaons noirs vivaient la tombée de la nuit ? Aller simple pour le Soudan où Juliette Agnel, fascinée par l’origine du monde, se lance à la poursuite de l’antique cité de Méroé. La nuit n’est pas toujours synonyme de ciel étoilé. Retour à la réalité avec les Solar Portraits de Rubén Salgado Escuadero. Selon l’agence internationale de l’énergie, dans le monde, 1,1 milliard de personnes vit sans accès à l’électricité et plus de 95% d’entre elles se trouvent en Afrique subsaharienne ou en Asie. L’artiste espagnol documente la vie de celles et ceux qui découvrent, pour la première fois, la lumière grâce à l’énergie solaire. Comme lui, Celine Croze a recours à la photographie couleur pour témoigner de l’histoire. Elle expose dans Siempre que ses errances en Amérique latine, un pays où perdure une extrême violence.
Mentionnons également les photographes Philong Sovan, Laure Vasconi (exposée 50 ans après dans un bâtiment dessiné par son père…), Evgenia Arbugaeva, Thierry Cohen, Françoise Evenou, Ronan Guillou (récemment décédé à la suite d’un cancer foudroyant), Anders Petersen, Loewy & Puiseux et enfin les trois lauréats de l’appel à projets monté avec les étudiants de l’ENSAPC – Alexis Boucher, Maria Abdullaeva et Nadezhda Ermakhova…toutes et tous éclairent nos lumières et font de ce festival une des meilleures éditions, à découvrir jusqu’au 27 novembre !
© Todd Hido / Courtesy- de l artiste et de la Galerie Les filles du calvaire
© Ruben Salgado Escudero
© Céline Croze
© Philong Sovan
© Evgen Bavcar / Courtesy galerie Esther Woerdehoff
© Juliette Agnel / Courtesy galerie Clémentine de la Féronnière
Image d’ouverture © Merry Alpern / Courtesy galerie Miranda