Dans le Fisheye n°47, nous sommes allés à la rencontre de plus d’une vingtaine d’acteurs du monde de la photo, pour enquêter sur l’intérêt de suivre un cursus scolaire spécialisé. Un dossier nuancé confrontant les points de vue d’anciens étudiants, professeurs et spécialistes. Pour approfondir, découvrez ici l’entretien complet de Fabienne Pavia, créatrice des éditions du Bec en l’air. Propos recueillis par Éric Karsenty.
La formation n’est pas un critère pour moi, souvent je découvre le parcours d’un ou d’une photographe quand je leur demande leur biographie pour l’intégrer au livre… Les jeunes photographes, ceux dont nous publions les premiers livres, ont sans doute davantage suivi ce type de formations artistiques que les auteur(e)s confirmé(e)s. Comme nous publions majoritairement des formes d’écritures documentaires, les photographes ont souvent des cursus universitaires tournés vers les sciences sociales (histoire, sociologie, sciences politiques…), les lettres (classes prépa), et sont devenus photographes dans un deuxième temps. Je songe par exemple à Marion Gronier, que nous publierons prochainement, qui a fait Khâgne et Hypokhâgne, une maîtrise de cinéma et un DESS direction de projets culturels. Je pense aussi à Arko Datto, qui a suivi des études de sciences en Inde, et a ensuite suivi un cursus en France, dans la prestigieuse École polytechnique. Ce n’est qu’après qu’il s’est tourné vers la photographie, qu’il pratiquait déjà en autodidacte. Il y a aussi des photographes qui ont suivi une formation journalistique, et dont l’écriture a évolué vers quelque chose de plus personnel, de plus artistique.
Parmi les auteur(e)s qui viennent me présenter leur travail, j’ai l’impression qu’il y en a plus qui sont passés par des écoles d’art, ou qui ont suivi des stages, des master class, des workshops – qui sont d’ailleurs de plus en plus longs –, ou des compléments de cursus à l’étranger après des études universitaires en France. Mais je continue de recevoir des autodidactes – comme je le suis moi-même –, je crois qu’ils doivent le sentir ! Une fois de plus, la formation n’est vraiment pas ce que je regarde en premier. Parmi les photographes autodidactes que nous avons publiés, je pense à Denis Dailleux, qui était fleuriste quand il a commencé la photo, et Bruno Boudjelal, qui travaillait dans le voyage.
© Yohanne Lamoulère
Il n’existe pas d’enseignement idéal
Pour conseiller un cursus, honnêtement je ne connais pas assez ce qui s’apprend en école d’art pour avoir un avis tranché. J’ai l’impression que les Arts Déco sont une bonne formation – je songe à Adrien Selbert qui est passé par là, à Bruno Fert aussi, qui me paraissent tous deux avoir à la fois une vision esthétique de leur travail, mais aussi une approche intellectuelle. Je songe aussi au Septantecinq, à Bruxelles, où pas mal de jeunes photographes intéressants sont passés (Téo Becher, Kamel Moussa…). Nous avons également publié des photographes qui ont fait l’ENSP d’Arles, évidemment, je pense à Yohanne Lamoulère et à Alexa Brunet. Mais je serais bien incapable de citer une école plus qu’une autre, car au fond je ne crois pas qu’il existe un enseignement idéal pour apprendre à être photographe. Je dirais la même chose pour devenir écrivain ou cinéaste.
J’imagine que cela dépend des personnes, de leur profil, de leur maturité, de leur culture générale, de leur éducation artistique, de leur curiosité, de la manière dont s’exerce leur créativité, de ce qu’elles souhaitent développer en photographie. Pour moi, ce qui fait un bon ou une bonne photographe, c’est la conscience qu’il a de ce qu’il fait. Peu importe s’il lui a fallu passer par une formation théorique ou technique, ou s’il l’a découverte seul en expérimentant, en cherchant, en regardant, en lisant… Faire des stages, montrer son travail à des artistes qu’on apprécie, recueillir l’avis de professionnels qui comptent à ses yeux me semble une bonne chose. Attention toutefois à ne pas enchaîner les stages et à ne pas devenir les disciples (en moins bons !) des photographes qui donnent ces stages, et qui ont parfois un petit côté « gourou »… Je pense que postuler à des concours est également intéressant – j’ai moi-même souvent repéré des photographes en étant membre d’un jury. Et je crois aussi beaucoup à l’autoformation, d’autant que les outils numériques sont désormais accessibles. J’applique cela à la technique mais aussi à l’art compte tenu du nombre de livres, d’images, de fonds qu’on peut aujourd’hui consulter. Et puis aussi, et plus que tout, aller voir des expositions, visiter des musées et pousser les portes des bibliothèques pour y lire des livres d’art et de photographie !
© Srebrenica
Image d’ouverture © Srebrenica