Marseille célèbre son jeu emblématique avec l’exposition Pétanque !, à découvrir au Musée d’histoire jusqu’au 18 janvier 2026. À travers des archives, des objets et des photographies, elle retrace l’ancrage de ce sport populaire dans le tissu urbain et social. Parmi les artistes exposés, le photographe Hans Silvester capte avec intensité la beauté physique et silencieuse de la pétanque, révélant toute la force expressive d’un art de vivre profondément marseillais.
Parmi les nombreux clichés qui entourent Marseille, l’art de la pétanque tient une place de choix. Souvent réduite à une activité oisive, presque folklorique, incompréhensible pour les esprits productivistes ou rigides, la pétanque est pourtant bien plus qu’un simple loisir. Elle est un langage, un code social, une respiration collective. Sous ses airs de légèreté, elle déploie une véritable philosophie du temps partagé, de la concentration tranquille, du rapport au territoire. Si le cliché a la vie dure, il s’enracine dans une réalité profondément urbaine et quotidienne. Cet été, le Musée d’histoire de Marseille lui consacre une exposition gratuite, simplement intitulée Pétanque !, à découvrir jusqu’au 18 janvier 2026. Un hommage à une pratique vivante, ancrée dans le tissu local comme les platanes dans les places de quartier.
Loin du simulacre ou de la nostalgie facile, le parcours de l’exposition – intégré à la séquence 13 du musée – dévoile avec minutie l’histoire, les objets et les gestes de ce sport « à pieds tanqués ». Boules anciennes, affiches, santons, archives visuelles, souvenirs du Mondial La Marseillaise : tout y est pour ancrer la pétanque dans les usages contemporains. À Marseille, la pétanque s’invite partout : après les repas, sur la plage, entre collègues, dans les bars. Elle se déploie au sein des communautés qui composent la ville et fait évoluer ses langages en fonction de celles-ci. Tout en structurant l’espace public et les liens sociaux, la pétanque contribue à les redessiner. Par sa capacité à créer du commun, elle transforme les terrains vagues en lieux d’échange, et les places en scènes partagées. Elle inclut, rassemble, accueille – y compris celles et ceux que la ville rejette ailleurs. Des marges aux cœurs des quartiers, elle s’invente comme un territoire d’appropriation collective. Conçue en cinq espaces, l’exposition mêle approches ethnologiques, culture populaire et photographie. Plusieurs photographes sont à l’honneur, chacun·e apportant un regard singulier sur la pratique du jeu provençal. La pétanque est ici abordée non comme une carte postale figée, mais comme un vecteur de sociabilité. Elle incarne un certain rapport aux autres, aux interactions et à l’écouler du temps au sein de la ville de Marseille.
Hans Silvester : quotidien partagé et ritualité invisible
Parmi les œuvres présentées, celles de Hans Silvester se distinguent immédiatement. Ce photographe allemand, membre de la célèbre agence Rapho, s’est immergé dans le Sud de la France dès les années 1960, comme il le raconte dans plusieurs entretiens et ouvrages consacrés à son travail (Provence, 2001 ; Camargue, 1991). Son corpus dédié à la pétanque et aux jeux provençaux, constitué entre 1960 et 1970, déploie un regard à la fois attentif, pudique et profondément incarné. Une sélection de ces images a notamment été exposée au musée de la photographie André Villers en 2005 (Hans Silvester, regards sur la Provence), confirmant l’importance de ce pan de son œuvre. Si plusieurs photographes figurent dans l’exposition, c’est vers lui que nous choisissons de nous tourner, pour la beauté sportive et l’intensité physique de ses images. Chez lui, la partie de pétanque devient un instant suspendu à forte intensité narrative. Les visages se ferment, les corps se penchent, les regards se concentrent. Il capte le moment de bascule entre détente et attention, entre le jeu et l’enjeu. Ce n’est pas le folklore qu’il traque, mais la gestuelle précise, le lien muet entre les joueur·ses, la chorégraphie des corps dans l’espace, une approche qui évoque les analyses de Michel de Certeau sur les « arts de faire » du quotidien (L’invention du quotidien, 1980), où les pratiques populaires deviennent des tactiques de réappropriation de l’espace. La photographie prend une dimension quasi athlétique : chaque image révèle l’effort, le calcul, la stratégie, l’équilibre, comme si l’auteur captait la partie en mouvement avec la rigueur d’un sociologue. Le silence est une matière première dans ses clichés. Il enveloppe les scènes. On dirait qu’il se retient lui-même de respirer pour ne pas troubler la concentration des joueur·ses.
Hans Silvester raconte une autre histoire de Marseille : non pas celle des grands événements, mais celle du quotidien partagé et de la ritualité invisible. Son travail résonne d’autant plus fortement aujourd’hui, alors que Marseille continue de se définir par sa capacité à inventer des rapports à l’autre toujours renovés, et à subvertir sans cesse les intérêts du pouvoir et de la spéculation économique qui empêchent de créer du commun. Dans Pétanque et lien social (2002), le sociologue Frédéric Samson s’intéresse à la manière dont la pétanque, au-delà d’un simple loisir ou d’un rituel fantasmé du Sud de la France, constitue une pratique sociale structurante. Cette lecture contemporaine montre combien ce jeu peut être compris comme une forme d’organisation sociale résistante et inclusive.