Stéphane Duroy, Guillaume Herbaut : la guerre, de l’objectif au pinceau

02 décembre 2022   •  
Écrit par Pablo Patarin
Stéphane Duroy, Guillaume Herbaut : la guerre, de l’objectif au pinceau

Représenter le conflit et ses atrocités tout en s’affranchissant du spectaculaire. Telle est l’ambition de l’exposition De l’Ukraine – ceci est la guerre, accueillie par la Galerie Vu’, où les peintures de Stéphane Duroy se mêlent aux photographies de Guillaume Herbaut.

Chez Guillaume Herbaut, nul cadavre dans les rues de Marioupol ni fosse commune ou corps déchiqueté par les bombes. C’est l’intime, l’humain et la poésie qui subsistent au milieu de la monstruosité de la guerre dans le travail du photographe français. Autre membre de l’agence VU’, Stéphane Duroy peint quant à lui la barbarie plus qu’il ne la photographie, construisant son propre journal du conflit. Jusqu’au 23 décembre, leur exposition commune intitulée De l’Ukraine – ceci est la guerre, est à découvrir à la Galerie Vu’. À la croisée des arts, elle explore la capacité de chaque médium à dire l’horreur et l’indicible avec complémentarité, tout en s’affranchissant de l’ostentatoire.

Étudier l’Histoire, conjurer l’histoire

Une avancée tout en résonance : si la peinture de Stéphane Duroy symbolise la violence sans la capturer frontalement, les photographies de Guillaume Herbaut, elles, leur apportent un contexte. Ce dernier, lauréat de trois World Press Photo, couvre l’Ukraine post-Tchernobyl et post-indépendance depuis plus de vingt ans. La révolution orange, l’annexion de la Crimée, le Donbass, et plus récemment l’invasion russe se sont présentées à lui. Au cœur des conflits, Guillaume Herbaut fait un pas de côté, à la rencontre des habitant·es, à la découverte des territoires, pour comprendre leurs histoires et les retranscrire avec humilité. Des images laissant entrevoir les racines d’un conflit tristement destiné à advenir.

© Guillaume Herbaut / VU'

Debaltseve, Donbass, 11 mars 2015, 15 h 26. Explosion d’obus par une unité de déminage de l’armée de la RPD, sur un champ de bataille en lisière de la ville. © Guillaume Herbaut / VU’

Stéphane Duroy, lui, s’interroge depuis toujours sur les conséquences de l’Histoire sur les êtres. Il photographie ainsi la société britannique de 1979 à 2002 et ses clivages sociaux, le Berlin-Ouest dix ans avant la chute du Mur, et les États-Unis en tant qu’emblème d’un rêve illusoire de réussite à partir des années 1980. C’est muni d’un pinceau qu’il observe le conflit ukrainien depuis le premier jour, sans jamais se rendre sur place. Peu à peu, son journal personnel prend forme, nourri des informations et témoignages qui lui parviennent. Des visages ensanglantés et évocateurs, mêlés aux silhouettes anonymes couchées sur papier kraft, se juxtaposent aux soldats ukrainiens de Guillaume Herbaut. Des œuvres puissantes, où douleur et terreur règnent en maîtresses au sein de portraits néo-expressionnistes.

« Conjurer le temps est peut-être la folle ambition qui réunit Stéphane Duroy et Guillaume Herbaut. S’approcher du temps historique pour Guillaume Herbaut revient à transformer le reportage en un récit épique déployé sur des décennies […] Stéphane Duroy, pour sa part, explore le temps de la mémoire, un temps sans horloge qui suit la pente des affects et nous interroge sur la condition humaine », résume l’historien de l’art Michel Poivert, dans un texte qui accompagne l’exposition.

© Guillaume Herbaut / VU'

Kramatorsk, Donbass, 27 novembre 2019, 17 h 03. Maxime Iltenchko, 30 ans, a fait son service militaire en 2014 dans l’artillerie de l’armée ukrainienne (72e brigade). Le 6 août 2014, il a été touché par une balle dans la tête en plein combat, à Izvarine à la frontière russe. Il a perdu son œil gauche et celui de droite n’a plus que 20 % de vision. Il a subi seize opérations. Les dernières ont été faites aux États-Unis. © Guillaume Herbaut / VU’

© Stéphane Duroy / VU'© Stéphane Duroy / VU'

Technique mixte sur papier kraft, 2022 © Stéphane Duroy / VU’

© Guillaume Herbaut / VU'

Avdiïvka, Donbass, 24 février 2017, 13 h 44. Volodymyr, 38 ans, officier de presse de l’armée ukrainienne, pose dans le dortoir du service de presse militaire de la 72e brigade, installé dans une ancienne crèche. © Guillaume Herbaut / VU’

Explorez
Les images de la semaine du 1er septembre 2025 : le pouvoir des images
© Julie Wintrebert, Crazy Beaches, 2024 / courtesy of the artist and festival Les Femmes et la mer
Les images de la semaine du 1er septembre 2025 : le pouvoir des images
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, pour la rentrée, les pages de Fisheye se mettent au rythme du photojournalisme, des expériences...
07 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Prix Viviane Esders : éclairer des trajectoires photographiques
© Bohdan Holomíček
Prix Viviane Esders : éclairer des trajectoires photographiques
Créé en 2022, le Prix Viviane Esders rend hommage à des carrières photographiques européennes souvent restées dans l’ombre. Pour sa...
06 septembre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Sandra Calligaro : à Visa pour l'image, les Afghanes sortent de l'ombre
Fahima (17 ans) révise dans le salon familial. Elle suit un cursus accessible en ligne sur son smartphone. Kaboul, Afghanistan, 24 janvier 2025. © Sandra Calligaro / item Lauréate 2024 du Prix Françoise Demulder
Sandra Calligaro : à Visa pour l’image, les Afghanes sortent de l’ombre
Pour la 37e édition du festival Visa pour l’Image à Perpignan qui se tient jusqu’au 14 septembre 2025, la photojournaliste Sandra...
05 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nicole Tung, ultime lauréate du Prix Carmignac !
Diverses espèces de requins, dont certaines sont menacées d'extinction, tandis que d'autres sont classées comme vulnérables, ont été ramenées à terre à l'aube par des pêcheurs commerciaux au port de Tanjung Luar, le lundi 9 juin 2025, à Lombok Est, en Indonésie. Tanjung Luar est l'un des plus grands marchés de requins en Indonésie et en Asie du Sud-Est, d'où les ailerons de requins sont exportés vers d'autres marchés asiatiques, principalement Hong Kong et la Chine, où les os sont utilisés dans des produits cosmétiques également vendus en Chine. La viande et la peau de requin sont consommées localement comme une importante source de protéines. Ces dernières années, face aux vives critiques suscitées par l'industrie non réglementée de la pêche au requin, le gouvernement indonésien a cherché à mettre en place des contrôles plus stricts sur la chasse commerciale des requins afin de trouver un équilibre entre les besoins des pêcheurs et la nécessité de protéger les populations de requins en déclin © Nicole Tung pour la Fondation Carmignac.
Nicole Tung, ultime lauréate du Prix Carmignac !
La lauréate de la 15e édition du Prix Carmignac vient d’être révélée : il s’agit de la photojournaliste Nicole Tung. Pendant neuf mois...
04 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les images de la semaine du 1er septembre 2025 : le pouvoir des images
© Julie Wintrebert, Crazy Beaches, 2024 / courtesy of the artist and festival Les Femmes et la mer
Les images de la semaine du 1er septembre 2025 : le pouvoir des images
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, pour la rentrée, les pages de Fisheye se mettent au rythme du photojournalisme, des expériences...
07 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Prix Viviane Esders : éclairer des trajectoires photographiques
© Bohdan Holomíček
Prix Viviane Esders : éclairer des trajectoires photographiques
Créé en 2022, le Prix Viviane Esders rend hommage à des carrières photographiques européennes souvent restées dans l’ombre. Pour sa...
06 septembre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Sandra Calligaro : à Visa pour l'image, les Afghanes sortent de l'ombre
Fahima (17 ans) révise dans le salon familial. Elle suit un cursus accessible en ligne sur son smartphone. Kaboul, Afghanistan, 24 janvier 2025. © Sandra Calligaro / item Lauréate 2024 du Prix Françoise Demulder
Sandra Calligaro : à Visa pour l’image, les Afghanes sortent de l’ombre
Pour la 37e édition du festival Visa pour l’Image à Perpignan qui se tient jusqu’au 14 septembre 2025, la photojournaliste Sandra...
05 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Fisheye #73 : vivre d'Amour et d'images
© Jenny Bewer
Fisheye #73 : vivre d'Amour et d’images
Dans son numéro #73, Fisheye sonde les représentations photographiques de l’amour à l’heure de la marchandisation de l’intime. À...
05 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger