Fisheye Magazine : Sur ton site tu indiques que Lost in Wilderness dit « quelque chose » de ton passé et d’où tu viens. Quelle est ton histoire ?
Kalpesh Lathigra : Je suis né à Londres, dans le quartier de Forest Gate. Ma mère est née à Zanzibar et mon père a été élevé au Kenya. Mes grands-parents étaient originaires de Gujarat, en Inde. Je porte avec moi ces trois cultures et je leur appartiens mais j’ai malgré tout le sentiment d’être un déraciné. Les amis avec qui j’ai grandi étaient eux aussi issus de pays différents mais j’ai lu de nombreux bouquins sur le Mouvement des droits civiques aux États-Unis qui ont forgé mes idées politiques et la compréhension de qui je suis. Les histoires que mon père nous racontait sur les difficultés d’être immigrant ont pris racine en moi, comme ma propre expérience du racisme.
Comment es-tu devenu photographe ?
À l’époque où elle était juste ma petite-amie, mon épouse Nimisha m’a offert un exemplaire de In India, d’Henri Cartier-Bresson. J’ai toujours ce livre d’ailleurs. J’étais étudiant en droit et j’ai quitté l’université pour me consacrer à la photographie. Je me suis inscrit dans un cursus à mi-temps et à côté j’avais un petit boulot dans la vente au détail. Après ce cours, je me suis plongé à fond dans la photographie et j’ai obtenu un diplôme de Photojournalisme du London College of Communication.
Tu as découvert la réserve de Pine Ridge en 2006 grâce à une de tes lectures. Lost in Wilderness est donc née dans les livres ? Était-ce important pour toi de lire ces livres en particulier ?
Les livres ont toujours joué un rôle important dans ma vie. Ils étaient mon échappatoire. Mon père m’encourageait à lire de tout, des journaux jusqu’à Shakespeare. En 2006 la Open Eye Gallery de Liverpool présentait l’exposition Sleeping by the Mississipi d’Alec Soth. Ça a été une révélation. Je me suis plongé à la découverte des photographes américains comme Stephen Shore, Joel Sternfeld, Mitch Epstein, William Egglestone… Et j’ai décidé de me rendre aux États-Unis. Un ami m’a alors donné l’ouvrage Bury My Heart at Wounded Knee, de [l’historien américain] Dee Brown. C’est un livre majeur pour moi. C’est là que j’ai découvert Pine Ridge, que j’ai décidé d’aller à la rencontre des Lakotas.
Est-ce que c’est une méthode que tu emploies souvent, te plonger dans les livres avant une série ?
Je continue à lire des livres parce que c’est un moyen d’accéder à mon travail. Ils m’apprennent des choses et me permettent d’imaginer, de construire des idées. En ce moment je lis beaucoup d’auteurs du sud de l’Asie comme Jhumpa Lahiri et Rohinton Mistry car je suis en train de réfléchir à un nouveau projet sur l’Inde.
Peux-tu nous présenter les habitants de Pine Ridge ? Si tu devais faire leur portrait rien qu’avec des mots, lesquels ce seraient ?
Force, beauté, grâce et patience, c’est ainsi que je décrirais le clan sioux des Oglalas [un des sept clans qui forment la communauté Lakotas]. On peut traduire ainsi leur diction : « Tous mes proches ».
Quels sont les défis auxquels les habitants de Pine Ridge doivent faire face ? Comment sont-ils considérés aux États-Unis ?
Pine Ridge est la réserve la plus pauvre des États-Unis. Sa population souffre d’un taux de mortalité élevé, de dépression, de malnutrition, d’alcoolisme, de diabète… L’accès au soin est difficile. Le chômage oscille entre 80 et 85 %. Près de 49% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Nombreuses sont les familles qui n’ont pas l’électricité, le téléphone ou l’eau courante. Le suicide des jeunes est aussi un des problèmes majeurs de Pine Ridge. Aujourd’hui, les droits civiques des Amérindiens continuent d’être négligés. Je pense que dans le passé, il y avait une vision très romantique et romancé de l’Indien d’Amérique – très hollywoodienne – qui a omis complètement les vrais combats de ce peuple.
Qui sont leurs ancêtres ? Quelle est l’histoire de la réserve ?
C’est l’une des plus larges réserves d’Amérique. Elle compte 35 000 habitants. Le territoire Lakota s’étend de la rivière Missouri aux monts Big Horn. En 1868, un traité de protection est signé entre les Lakotas et le gouvernement américain. Six ans plus tard, on y trouve de l’or. Les chercheurs d’or et les colonisateurs arrivent par légion; le traité est rompu. Le bison convoité pour sa fourrure, et dont les Amérindiens dépendent, disparaît. C’est ainsi que les Lakotas se sont vus spolier leur terre. La guerre est ouverte. Elle prend fin en 1890, lors du massacre de Wounded Knee où plus de 200 personnes sont tuées.
Tu sembles très inspiré par le mouvement de la New Documentary Tradition, né entre les années 50 et 60, n’est-ce pas ?
Complètement ! Je pense que ce revirement s’est opéré comme une sorte de rébellion contre mon parcours classique de photojournaliste et aussi lorsque j’ai découvert que je comprenais la couleur. Il y a aussi derrière tout ça un vision romantique du road trip, inspirée par les écrivains de la Beat Generation. Avant Lost in Wilderness, j’avais une vision très étroite de la photographie.
Sur ton site, tu expliques qu’il y a un lien entre ce peuple que tu as photographié et tes propres expériences. Quel est ce lien ?
Les conséquences du colonialisme, le rapport à l’autre, l’idéologie de la Destinée manifeste, le racisme et les préjugés toujours actuels… C’est ce que nous, gens de couleur, continuons à vivre. Ce peut-être un regard, une opportunité qui se dérobe à nous. Ces expériences-là créent un lien tacite entre nous tous.
D’où vient le titre Lost in Wilderness ?
Il vient d’un poème que j’ai lu sur le sentiment de ne pas être à sa place.
Qu’as-tu appris auprès des habitants des Lakotas ?
La patience.
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