Jusqu’au 22 novembre, le Prix Carmignac expose, au Réfectoire des Cordeliers dans le 6e arrondissement de la capitale, sa lauréate, la photojournaliste Fabiola Ferrero. Portée par une scénographie poignante, sa série Venezuela, The wells run dry fait l’état d’un pays rongé par la crise que les fragments d’un passé prospère ne parviennent pas à maintenir à flot.
« Je suis revenue en 2022, deux ans après avoir émigré, et quand je me suis vue au milieu de ce délabrement, j’ai cherché refuge dans les souvenirs – les miens et ceux des autres. Dans ce reportage, je me mets en quête des vestiges du pays pétrolier prospère dans lequel j’ai grandi, et de la mémoire d’un temps d’avant l’effondrement »,
déclare Fabiola Ferrero. Au Réfectoire des Cordeliers, dans le cadre du parcours PhotoSaintGermain, la photojournaliste et lauréate du Prix Carmignac 2022 présente Venezuela, The wells run dry. Un récit entre deux temps, deux mémoires frappantes. Autrefois perçu comme un eldorado prospère, le pays s’embourbe aujourd’hui dans une crise sociale et économique majeure : en sept ans, son PIB a chuté de 80%, et ses importations ont été divisées par dix. Corruption, hyperinflation, pénuries d’eau, de nourriture, de médicaments, résurrection de maladies éradiquées, protestations noyées dans le sang… À ce jour, plus de sept millions d’habitants – soit un sur quatre – ont choisi l’exil. La fuite d’un foyer guidée par un espoir vacillant – celui d’une existence meilleure. Forte de son éducation journalistique, Fabiola Ferrero poursuit ici une œuvre complexe, réfléchie, qu’elle développe et affine depuis plusieurs années déjà. Un travail porté par des recherches minutieuses, une hargne sincère, une émotion qu’elle infuse dans chaque cliché, chaque légende, pour que les regardeur·ses ne puissent plus oublier.
Capturer le déclin
Illustrant à merveille son approche, l’exposition Venezuela, The wells run dry propose immédiatement aux visiteur·ses un choix étonnant : « entrer par le passé » ou « entrer par le présent ». La première option nous emporte dans une quête de souvenirs, dans les bribes de mémoires, d’instants d’inconnus. Un écho à la propre enfance de la photographe, qu’elle a dû laisser derrière elle en partant du pays. « Au Venezuela, quand un émigrant s’en va, les albums sont abandonnés dans des maisons laissées en l’état. Ils prennent la poussière et la rouille, comme chez moi à Caracas, où une ancienne version de moi-même se trouve parmi de vieilles images », écrit-elle. Accrochés de manière à tenir debout, les clichés d’anonymes se suivent, comme un autel rendant hommage aux passés abandonnés.
Plus sombre, le parcours « présent » nous plonge dans la pénombre, révélant des ruines, des livres calcinés, des rues désertes… Ici, la disposition des images – faisant écho à celle du chapitre passé – prend des airs de cimetières, reflétant un monde triste où règnent souffrance et pauvreté. En continuant, nos pas nous guident vers la portion commune des deux voyages. Ici aussi, les photos figées « debout » nous font face et nous immergent dans une réalité sinistre. Car, c’est le déclin que capture Fabiola Ferrero. Les ruines d’une nation anciennement riche, dont les cicatrices ne cessent de s’approfondir. Des visages fatigués des personnes qu’elle croise aux traces laissées par les mites et les chauves-souris dans les salles de classe désertées… Elle dépeint avec brio la colère, le découragement, la douleur des siens. Celles et ceux qui partent pour trouver ailleurs une chance de vivre, et celles et ceux qui restent dans l’attente – peut-être infinie – d’un jour meilleur.
© Fabiola Ferrero pour la Fondation Carmignac