Exposée dans le cadre des Regards Croisés de Phot’Aix, Laure Pubert conte au travers de sa série Je marcherai sur tes traces, l’histoire d’une quête sans fin, à la recherche d’un personnage fictif. Partie en solitaire, sur les pas de cette chimère, la photographe a trouvé dans les visages, les paysages et autres objets photographiés, des fulgurances de cet être fantasmé, pour enfin, le perdre à jamais. Rencontre.
Fisheye : Comment en êtes-vous venue à la photographie ?
Laure Pubert : Je suis photographe plasticienne, installée à Boulogne Billancourt et représentée par l’agence révélateur (Paris) depuis 2018. J’ai d’abord exercé en tant que chercheuse en droit public, et puis un jour, j’ai décidé de changer radicalement de voie. J’ai quitté mon milieu professionnel pour me consacrer entièrement à la photographie et à mon travail de création. J’ai alors suivi des cours du soir en photographie que j’ai complétés par deux ateliers, menés respectivement par Antoine d’Agata et Anders Petersen. Juste après cela, je suis partie en Norvège, avec deux appareils argentiques dans l’optique de créer, sans savoir ce qui en résulterait. C’est ainsi que tout a commencé. Là-bas, j’ai rencontré des gens qui ont beaucoup compté pour moi. Ce voyage a donné naissance à ma première série Je marcherai sur tes traces, et à mon premier livre éponyme publié par Arnaud Bizalion en 2018. Depuis 2020, j’anime des ateliers et je suis en résidence de recherche et de création dans l’ancien asile de Ville-Evrard, à Neuilly-sur-Marne.
Comment décririez-vous votre approche du médium ?
Mes travaux sont inspirés par le surréel, sur un fond d’expériences vécues avec des percées poétiques. Je travaille dans l’intuition d’un temps parallèle et je recherche des points de rencontre possibles entre mes errances imaginaires et mes archives artistiques. Des sortes d’indices de ce qui est peut-être en train de nous échapper, de ce que l’on ne perçoit pas à l’œil nu. Depuis deux ans, mon travail passe par une articulation entre photographie et sculpture. C’est à la fois une expérimentation visuelle et une exploration sensorielle du pouvoir de la photographie. C’est aussi une conquête des territoires imaginaires, d’où surgit une mythologie personnelle. Ici, l’image sert de matière pour représenter des histoires ou des corps absents.
Quelle est la genèse de votre projet Je marcherai sur tes traces ?
Il est né d’un livre, Les oiseaux de Tarjei Vesaas et surtout d’un de ses personnages, Mattis, qui a continué à me hanter au-delà du roman. C’est l’histoire d’un homme qui a du mal à trouver sa place dans la vie de tous les jours. Il vit dans un monde qui lui est propre et dans lequel il sait notamment décrypter le langage des oiseaux. C’est un poète, guidé par une voix intérieure qui lui permet d’accéder à d’autres connaissances. Un beau jour, alors qu’il est installé dans une petite maison près d’un lac avec sa sœur, il choisit de devenir passeur en se servant d’une vieille barque. Il voit cela comme un moyen d’affirmer son propre destin, de trouver sa place.
À la fin de la lecture de ce livre, il était devenu urgent de comprendre la solitude de cet être égaré. C’est un personnage qui pouvait accéder à une expérience immédiate et directe de la réalité et qui pourtant n’y trouvait pas sa place. Je pense qu’à cette époque, j’étais moi aussi perdue. Je me suis inscrite sur un site permettant de travailler en échange d’un logis et de quoi me nourrir, puis je suis partie en Norvège un mois après. J’ai alors commencé ma quête : celle qui consistait à retrouver Mattis. Je suis allée à Oslo puis je me suis dirigée vers le nord, en suivant la côte vers Evanger, Bergen, Tromsø, Berlevåg, Vardø, avant de terminer mon voyage à Kirkenes.
© Laure Pubert
Était-ce une quête en solitaire ?
Oui, j’ai voyagé et avancé seule, entièrement accaparée par ce que provoquait en moi l’intuition de cette présence. J’ai fait des rencontres très fortes mais en même temps, je ressentais le fardeau de la solitude parce que je savais que je recherchais un compagnon absent, qui était destiné à le rester. Pendant toute la durée de ce voyage, j’ai tenté de me débattre de ce sentiment d’aliénation. J’ai eu la sensation d’évoluer dans un espace restreint. Il n’y avait pas d’échappatoire. Je devais continuer à fouiller pour tenter de comprendre ce qui me guidait.
Quelles sont vos sources d’inspiration ? Et pour ce projet en particulier ?
De manière générale, les peintres expressionnistes comme Edvard Munch, Egon Schiele, ou les artistes surréalistes comme Man Ray, René Magritte, Max Ernst, Brassaï et Louise Bourgeois. Pour ce projet en particulier, je dirais Mario Giacomelli, et le cinéma de Chris Marker ou de Béla Tarr. Enfin, les polaroids d’Andreï Tarkovski, avec cette lumière mystérieuse, poétique et nostalgique, que l’on trouve également dans ses films.
© Laure Pubert
Vous oscillez entre du noir et blanc granuleux et de la couleur prise au flash. Pourquoi ?
De manière générale, je mêle noir et blanc et couleurs dans une approche poétique. Si j’ai fait ce choix ici, c’est parce qu’il y a à la fois le poids d’une solitude insoluble et le caractère aliénant de cette enquête impossible. Mais il y a aussi de la lumière qui émane de mes découvertes. J’avais besoin de transmettre cette réalité, et tout cela devait s’enraciner dans l’image.
Diriez-vous que cette série véhicule une sensation d’étrangeté face au monde ?
Oui, je pense que cette série révèle les indices d’une enquête onirique et hallucinée, dont le perceptible s’inscrit dans la matière. Ce projet s’appuie sur l’imaginaire pour dégager une certaine figuration du réel. On y trouve des paysages où la lumière irradie, des hommes aux visages inquiétants, possédés, voire meurtris. Les corps errent dans le même élan que le mien. C’est comme si mes pas reproduisaient le chemin parcouru par une multitude d’empreintes, comme une mémoire commune et lointaine, faite de rencontres et de lieux.
© Laure Pubert
Vous êtes actuellement exposée à Regards Croisés où votre travail dialogue avec celui de l’artiste italien Mario Lasalandra. Vous retrouvez-vous dans son œuvre ?
Je suis honorée que ma série ait été choisie pour créer un dialogue avec son travail. Je suis fascinée par l’intensité poétique et onirique derrière les images de Mario Lasalandra, ce temps magique, suspendu. J’y retrouve ce goût constant pour le fameux surréel, le rêve et les fougues poétiques. Il est vrai qu’il y a davantage d’improvisation dans ma série mais à l’instar des scènes imaginaires dans la photographie de Mario Lasalandra, le dialogue qui s’établit avec la réalité ne cesse de m’échapper. Les lieux, les visages surgissent et cherchent à être sauvés de leur propre disparition. L’argentique noir et blanc renforce ce sentiment d’errance.
Pour reprendre vos mots « Ce voyage répondait à une urgence : celle de garder en soi la trace d’une rencontre possible inspirée par un personnage fictif ». Qu’en est-il aujourd’hui ?
Je devais retourner en Norvège pour poursuivre ma quête, mais entre-temps je suis tombée enceinte et sa présence obsessionnelle est devenue trop pesante. J’ai décidé de ne plus le suivre. Je suis partie quelques temps avant mon accouchement dans le nord de la France, comme une manière de me rapprocher de lui, et là-bas, j’ai photographié pendant plusieurs jours tout ce que m’inspirait. Depuis, je n’ai plus que le souvenir d’une solitude partagée et d’une présence invisible qui reste à jamais insaisissable.
Une image à commenter en particulier?
Oui, celle de La femme à la bulle. Lorsque je regarde mes images, il y a toujours une part de tristesse, parce qu’il y a des gens que j’ai perdu de vue. Sur celle-ci c’est encore plus fort. J’étais très attachée à elle, à sa personnalité intense. C’était une artiste qui possédait un gîte et un café dans un petit village insolite près de Bergen, où j’ai travaillé. Cette femme a connu une fin tragique. Certaines de mes images sont d’ailleurs un peu prophétiques, ce qui est assez troublant pour moi.
Le jour où je l’ai photographiée, j’ai aperçu une sorte de bocal en plastique sur une table au moment où elle passait près de moi. L’espace d’un instant, je l’ai vu, lui, Mattis. Alors, je lui ai demandé de placer le bocal sur sa tête et j’ai pris la photo. Derrière, il y avait un cœur déchiré en deux, comme une mise en garde. Je ne l’ai découvert qu’après coup. Aujourd’hui, chaque fois que je regarde cette image, l’absence disparaît derrière l’intuition d’une présence.
Je marcherai sur tes traces de Laure Pubert est à retrouver dans le cadre de Regards Croisés, jusqu’au 31 décembre à la Galerie Zola, Cité du Livre, 8-10 Rue Des Allumettes, 13100 – AIX-EN-PROVENCE.
© Laure Pubert