« Le Monde selon Roger Ballen » : la mécanique désarticulée

11 septembre 2019   •  
Écrit par Julien Hory
« Le Monde selon Roger Ballen » : la mécanique désarticulée

Jusqu’au 31 juillet 2020, la Halle Saint-Pierre, à Paris, accueille Le Monde selon Roger Ballen. Pour la première fois en France, cette rétrospective invite le visiteur dans l’œuvre de cet artiste inclassable. Plongée dans un monde à la frontière de la folie.

Dès qu’il entre dans la première pièce de la rétrospective proposée à la Halle Saint-Pierre, au pied du Sacré-Coeur, le visiteur comprend qu’il pénètre dans un monde étrange et incertain. Ce monde, c’est celui du photographe Roger Ballen, né à New York et installé à Johannesburg, en Afrique du Sud. Dans son œuvre, l’artiste explore les tréfonds de la condition humaine. Souvent comparé à Jean Dubuffet et assimilé à l’art brut, Ballen crée dans ses images et installations des espaces non capitonnés dans lesquels la folie s’exprime librement. Mais peut-on vraiment parler de folie ? Soucieux que le spectateur comprenne son univers qu’il qualifie lui-même de « ballenesque », l’auteur redoute les jugements hâtifs qui viendraient parasiter la forme au profit d’une surinterprétation hasardeuse.

Géologue de formation, son métier lui a permis de parcourir le monde. C’est ainsi que Roger Ballen est allé à la rencontre des personnes mises à la marge dans les petites villes isolées du vaste territoire sud-africain. Au fil de ses activités, son travail va peu à peu évoluer d’une pratique photographique presque documentaire à des compositions plus sophistiquées. Des décors élaborés, des dessins, des sculptures… son identité visuelle se construit et s’affirme jusqu’à devenir sa véritable signature. Parfois critiqué pour sa mise en scène de personnes marquées par les troubles mentaux, il a toutefois acquis une notoriété internationale. Grâce à sa collaboration avec le groupe Die Antwoord, notamment sur le clip I fink u freeky (2012), son esthétique dépasse les frontières des salles de musées.

© Roger Ballen© Roger Ballen

Le vivant fait son entrée

C’est une dimension hors du commun qui s’ouvre dans la salle du rez-de-chaussée de la Halle Saint-Pierre. Un espace sombre fait d’automates désarticulés résidents d’une scénographie composée de vieux meubles, de fils de fer, de tapis épais… Dans une lumière tamisée, ce petit théâtre, peuplé de rats et d’oiseaux, fonctionne comme un manège inquiétant. Sur le papier peint de murs éphémères, les têtes difformes dessinées par des traits gras se succèdent. Réalisés par Roger Ballen ou par certains de ses modèles, ces motifs rappellent Le Cri d’Edvard Munch, des têtes de mort venues d’une mystique imaginaire ou encore, des dessins d’enfants d’où aurait disparu toute expression faciale. Dans cette pièce, le public est tout de suite mis en condition : il peut toujours faire marche arrière, mais ce serait dommage.

C’est en montant au premier étage de l’exposition que le visiteur comprend. L’univers qu’il vient de quitter est aussi celui par lequel Roger Ballen a construit son œuvre photographique. Dans des moyens formats carrés, majoritairement noir et blanc (il n’est passé à la couleur que très récemment), l’artiste expose plus de 20 ans de création. On retrouve son univers cloisonné, mais cette fois-ci, mélangé aux artifices, le vivant fait son entrée. Il arrive souvent par morceaux (ici un bras, là un pied…), parfois par la présence animale (toujours les rats et les oiseaux), ou encore des personnages aux profils singuliers, hors-normes. À travers ces représentations nous est présenté un ensemble d’images d’une beauté troublante, d’une puissance certaine, d’une composition formelle maîtrisée. Que l’on y adhère ou non, ce qui est certain, c’est que l’œuvre de Roger Ballen ne saurait laisser le spectateur indifférent.

© Roger Ballen© Roger Ballen
© Roger Ballen© Roger Ballen
© Roger Ballen© Roger Ballen
© Roger Ballen© Roger Ballen

© Roger Ballen

Explorez
Raï de Boris Bincoletto : oublier quelqu'un pour retrouver les autres
© Boris Binceletto
Raï de Boris Bincoletto : oublier quelqu’un pour retrouver les autres
Après Solemar, son premier livre photographique qui explorait la côte Adriatique, Boris Binceletto sort Raï, qui se situe entre la...
17 décembre 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Motel 42 : Eloïse Labarbe-Lafon peint le décor d’un road trip
© Eloïse Labarbe-Lafon
Motel 42 : Eloïse Labarbe-Lafon peint le décor d’un road trip
Composé d’une quarantaine de portraits pris dans des chambres durant un road trip, Motel 42 d’Eloïse Labarbe-Lafon s’impose comme un...
06 décembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Marie Le Gall : photographier un Maroc intime
© Marie Le Gall
Marie Le Gall : photographier un Maroc intime
Absente depuis vingt ans, lorsque Marie Le Gall retourne enfin au Maroc, elle découvre un territoire aussi étranger que familier....
22 novembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Visions d'Amérique latine : la séance de rattrapage Focus !
© Alex Turner
Visions d’Amérique latine : la séance de rattrapage Focus !
Des luttes engagées des catcheuses mexicaines aux cicatrices de l’impérialisme au Guatemala en passant par une folle chronique de...
20 novembre 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les images de la semaine du 16.12.24 au 22.12.24 : une multitude de dialogues
© Rebecca Najdowski
Les images de la semaine du 16.12.24 au 22.12.24 : une multitude de dialogues
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye dévoilent une multitude de dialogues initiés par la photographie.
À l'instant   •  
Écrit par Apolline Coëffet
The Color of Money and Trees: portraits de l'Amérique désaxée
©Tony Dočekal. Chad on Skid Row
The Color of Money and Trees: portraits de l’Amérique désaxée
Livre magistral de Tony Dočekal, The Color of Money and Trees aborde les marginalités américaines. Entre le Minnesota et la Californie...
21 décembre 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Paysages mouvants : la jeune création investit le Jeu de Paume
© Prune Phi
Paysages mouvants : la jeune création investit le Jeu de Paume
Du 7 février au 23 mars 2025, le Jeu de Paume accueille le festival Paysages mouvants, un temps de réflexion et de découverte dédié à la...
20 décembre 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Mirko Ostuni : une adolescence dans les Pouilles
© Mirko Ostuni, Onde Sommerse.
Mirko Ostuni : une adolescence dans les Pouilles
Dans Onde Sommerse, Mirko Ostuni dresse le portrait de sa propre génération se mouvant au cœur des Pouilles. Cette jeunesse tendre et...
20 décembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger