Jusqu’au 28 août, le MAMC+ organise la toute première exposition d’envergure consacrée à Thomas Ruff en France. Tout au long de sa carrière, le photographe allemand s’est intéressé à la technicité de son médium de prédilection, établissant alors une véritable Méta-photographie.
En plus de quarante ans de carrière, Thomas Ruff n’avait encore jamais eu droit à une telle exposition en France. Le Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne métropole (MAMC+) y a alors remédié en imaginant une belle rétrospective en l’honneur de son grand œuvre. Mais ce choix est loin de relever du hasard le plus fortuit. Très attaché à la région Auvergne-Rhône-Alpes, l’artiste allemand a déjà exposé dans de petites galeries locales. Quant à l’institution, elle détient, depuis les années 1990, cinq de ses photographies dans sa collection permanente. Car depuis ses balbutiements, celle-ci a toujours eu à cœur d’acquérir des créations singulières sinon d’avant-garde. Et celles de Thomas Ruff n’y font pas exception.
Dès les prémices de sa carrière, l’artiste de Düsseldorf a entrepris tout un travail de recherche historique sur le médium photographique. À même les tirages, il interroge ses multiples évolutions, s’attachant à comprendre les motivations, de même que les enjeux qu’elles portent en creux. Depuis 1990, il utilise des images préexistantes, issues de sources diverses et variées, afin d’en composer de nouvelles. C’est de cette manière qu’il s’approprie les sujets qu’il convoque. Ce soin apporté au 8e art est également perceptible au travers de l’exposition du MAMC+. Plus d’une dizaine de salles accueille un ensemble de dix-sept séries, dont une inédite. Méta-photographie réagence ainsi la chronologie des œuvres pour suivre la temporalité des procédés étudiés. Une petite histoire abrégée de la discipline, aussi accessible pour les dilettantes que complexe dans son approche, se dessine alors.
D’incessants questionnements sur la matérialité de l’image
Loin de vouloir recréer des images d’époque, Thomas Ruff se distingue par une volonté de shooter non pas selon d’anciennes techniques, mais bien à partir de l’histoire même du médium. Analogiques ou numériques, il sonde les secrets des tirages, animés par différents motifs d’ordre scientifique ou de la surveillance, avant d’y apposer un regard objectif. Les premières salles dévoilent tour à tour les séries Negative (2014), Tripe (2018) et Bonfils (2021), qui mènent une longue réflexion sur les négatifs. Sous-considérée par beaucoup, cette matrice s’impose pourtant comme une véritable auxiliaire de la recherche. Dans les années 1870, le médecin et physiologiste Étienne-Jules Marey s’en servait notamment dans ses expériences chronophotographiques, dont l’objectif était d’analyser les animaux et le mouvement. Fasciné par ce processus, Thomas Ruff a alors réinvesti son potentiel en en magnifiant les imperfections.
Au-delà de perpétuels questionnements sur la matérialité de l’image, Thomas Ruff a tout autant porté son intérêt sur les instruments photographiques qu’il n’a eu de cesse de réinventer. Dans Flower.s (2018), le photogramme se voit détourné. Une chambre photographique virtuelle lui permet de se soustraire à ses propres limites en injectant de la couleur en arabesque, quand une double exposition n’esquisse pas de nouveaux contours à ses créations. Une périphérie redessinée que l’architecture atypique du MAMC+ sublime d’ailleurs à merveille. Dans quelques recoins de l’institution se cachent ainsi des œuvres discrètes, à l’instar de techniques oubliées dans le vaste creuset de la mémoire du 8e art.
Mieux appréhender le futur de l’image
À l’inverse, d’autres séries de l’artiste puisent leur inspiration dans la modernité. Clichés immortalisés au télescope ou par une sonde de la NASA, prises nocturnes des évènements de la Guerre du Golfe, portraits-robots, outils de compression JPEG, impressions 3D… Thomas Ruff explore toutes les possibilités qui s’offrent à lui. Ses projets infusent tous à leur façon l’idée de concevoir avec des archives préexistantes ou en cours d’élaboration. Il rejette ainsi toute participation à l’alimentation de ce flux de représentations constant qui dépose un voile opaque sur notre quotidien.
Les images auxquelles il donne un second souffle se superposent alors et expriment par elles-mêmes un travestissement de nos réalités. À titre d’exemples, Press ++ (2015) ou encore Zeitungsfotos (1990) réemploient les unes de magazines à d’autres fins. Dans un genre différent, jpegs (2004) cristallise la destruction humaine, de même que les horreurs de la guerre en basse définition, comme pour appuyer le trouble généré par les conflits. Bien plus qu’un simple historien de la photographie, Thomas Ruff parvient finalement à redéfinir la relation que nous entretenons avec le médium. Il nous aide à comprendre son passé afin de mieux appréhender le futur d’une image qui, par sa profusion, tend à annihiler tout son sens.
Thomas Ruff © ADAGP, Paris 2022