À partir de demain, et durant tout le week-end, se tiendra à Paris le Palais Augmenté – premier festival mondial dédié à la réalité augmentée. Pour l’occasion, des artistes à la pointe de l’art numérique ont été invités à réaliser des œuvres avec lesquelles le public pourra interagir. Parmi ces créations, Manuel Rossner présente Where do we go from here?, une réflexion immersive sur l’avenir des frontières virtuelles de notre monde.
C’est à la frontière des mondes physiques et virtuels que se développe Where do we go from here?, signée par l’artiste digital Manuel Rossner. Avec l’évolution des processus de création, et l’apparition de nombreux outils numériques, les interrogations autour de notre monde prennent une toute autre dimension. Car avec la réalité augmentée, le sujet d’étude est, bien évidemment, le réel. Lorsqu’il intervient directement dessus, l’artiste n’est plus celui qui interprète notre environnement, mais celui qui le transforme. Avec comme question centrale de sa recherche : « quelles sont les nouvelles technologies qui définissent notre société actuelle ? », l’artiste allemand imagine les nombreuses directions que peuvent prendre nos vies. « En ce moment, la séparation entre l’espace virtuel et la réalité physique s’estompe, ce qui ouvre de nombreuses possibilités. Cela ne montre pas seulement que nous sommes capables de créer de nouveaux mondes en un clin d’œil, nous pouvons aussi apprendre beaucoup de choses sur notre propre perception et existence », avance l’artiste. Avec Where do we go from here?, les spectateurs pourront suivre, avec leurs smartphones, un avatar à travers un parcours de sculptures digitales.
Ludique, grandiose, magique, interactive et tout simplement bluffant, l’œuvre présentée à l’occasion du Grand Palais Éphémère se vivra comme un jeu. Une expérience à part entière que le visiteur s’emparera à cœur ouvert. Une pièce démocratique, accessible à tous – libre à nous de la vivre comme on veut. C’est un art pour le public, et c’est définitivement le public qui le fera exister. Une intention éveillée chez Manuel Rossner dès sa jeune enfance. « Lorsque j’étais à l’école, je jouais avec mes amis. La plupart du temps, je trouvais les possibilités des jeux limitées et j’ai donc appris les techniques pour créer des mondes moi-même », explique-t-il. Et la réalité augmentée a offert pour lui une infinité de possibilités pour approfondir ces expériences. En 2012, il a ouvert les portes de sa propre galerie numérique : Float Gallery, un espace où il expose librement ses œuvres, sans contrainte de temps ni d’espace. En 2017, il a été invité par Alain Bieber (directeur du NRW-Forum à Düsseldorf), à réaliser une exposition majeure de réalité virtuelle avec des casques de réalité augmentée.
Ressentir des dimensions nouvelles
Lorsque l’art peut être entièrement numérique, l’importance de l’espace d’exposition – dans ses spécificités et ses contraintes – reste tout de même primordiale. L’idée n’étant pas de s’extraire du monde, mais d’y voir et y ressentir des dimensions nouvelles. « L’espace, c’est bien plus que le bâtiment. C’est aussi le contexte, les idées, l’histoire et l’équipe qui se cachent derrière. C’est pourquoi je fais référence à des artistes qui ont travaillé au Grand Palais comme Anish Kapoor ou Daniel Buren dans mon travail. Il le faut, pour dompter cet espace difficile, mais incroyablement inspirant », avance Manuel Rossner. Au Grand Palais Éphémère, l’atmosphère à prendre en compte est à double tranchant – entre tradition et modernité. D’une part, il faut reconnaître l’immense histoire du Grand Palais, à l’avant-garde de la technologie et de l’art à l’époque des expositions universelles. D’autre part, réussir à célébrer le caractère temporaire de ce lieu, installé pour une période de seulement quelques années, le temps des travaux de sa maison-mère. « J’aime beaucoup l’idée de l’éphémère, qui s’apparente à un mode de pensée numérique. Alors que le Grand Palais a plus de 100 ans, le Grand Palais Éphémère est prévu pour quelques années. Enfin, très littéralement, les expériences numériques seront recréées 30 fois par seconde sur nos écrans », poursuit-il.
En réalité augmentée, comme pour toute œuvre d’art, c’est la vision de l’artiste qui est véhiculée. Mais dans ce médium en plein essor, les auteurs cherchent encore de nouvelles manières d’incarner leurs écritures. En effet, par quels moyens intégrer ses perspectives dans des mondes virtuels émergents, où le matériel et l’immatériel se confondent ? La question est ouverte, et les voies à emprunter sont si nombreuses qu’il est encore difficile d’imaginer les univers possibles. À l’image de tout l’art contemporain, il n’y pas de limites dans les formats à exploiter. « Une performance immatérielle de Tino Sehgal est autant une œuvre d’art qu’une peinture monochrome ou l’Arc de Triomphe emballé, imaginé par Cristo et Jeanne Claudes et qui sera réalisé cette année », avance Manuel Rossner. Et comment évoquer ces évolutions techniques sans parler d’intelligence artificielle, qui est en train de bouleverser notre conception de l’art ? Les interrogations sont nombreuses, et se situent au cœur des recherches contemporaines des talents émergents, comme c’est le cas pour l’artiste allemand. « Y aura-t-il un moment où une machine pourra suffisamment bien comprendre la société pour créer une œuvre d’art conceptuelle pertinente ? Et qu’est-ce que cela signifierait pour l’être humain ? », conclut-il.
© Manuel Rossner