Jusqu’au 22 septembre, le Jeu de Paume présente l’exposition Mille et un passages. Une rétrospective de l’œuvre de Sally Mann qui couvre près de 40 ans de photographie. Une réflexion sur la condition humaine et l’existence.
Sally Mann née en 1951 à Lexington, en Virginie (États-Unis). Sa terre natale est au cœur du travail de la photographe. À travers une centaine d’images, dont une large partie n’a jamais été montrée, Sally Mann raconte le sud profond par différents chemins. De l’intime à la grande Histoire, l’exposition Mille et un passages présentée au Jeu de Paume propose une œuvre à la fois puissante et provocante.
Partant de ses expériences personnelles et de son environnement proche Sally Mann convoque des thématiques universelles qui transcendent les frontières. Dans une scénographie en cinq temps, l’exposition engage le visiteur dans une réflexion : la mort, l’identité, la filiation et la mémoire. Cette rétrospective, unique étape européenne, sonde ainsi des grandes questions de l’existence.
Les cicatrices du passé
La première salle consacrée à l’exposition réunit les photographies que l’artiste a réalisées de ses enfants. Capturés à la chambre, ces clichés évoquent l’insouciance de la jeunesse et le naturel d’une vie à la campagne. Ces images qui semblent prises sur le vif ont été en réalité minutieusement préparées. La photographe s’est parfois assurée de la complicité de ses deux filles et de son fils pour réaliser des mises en scène qui traduisent le regard des adultes sur l’enfance. Cette série conçue entre 1985 et 1994 a suscité de vifs débats. L’apparition d’enfants nus choqua une frange du public. Certaines expositions personnelles de l’artiste ont été alors annulées, voire vandalisées.
Cette proximité, la photographe américaine l’a déployée en photographiant les paysages environnant sa propriété puis des espaces plus lointains. Par ce biais, elle a voulu montrer que la terre conserve les cicatrices du passé. Elle explique sa démarche : « Le lieu et l’histoire étant donnés, il m’appartenait de trouver les métaphores : ces signes cryptés dans le paysage du Sud, dont la signification s’est plus ou moins perdue ». Les surfaces meurtries et l’intime, la photographe les a retrouvés dans ses dernières images où elle tournera son objectif sur le corps de Larry, son mari, atteint de dystrophie musculaire.
Évasion pour certains, tombeau pour d’autres
Les sujets sensibles n’effraient pas Sally Mann. Consciente de l’héritage historique chargé de sa région, elle en a exploré le passé torturé. Cette histoire, c’est celle de la Viriginie. Cet État fut le plus grand théâtre de la guerre de Sécession. Près d’un tiers des batailles se sont livrées dans les plaines de cette région du sud. Ces terrains-cimetières, ensevelis par le temps, rappellent l’indifférence d’une nature recouvrant ses droits face à la souffrance humaine. Sally Mann figure la mort qui a régné là grâce à un procédé au collodion dont elle conserve les imperfections et craquelures.
C’est aussi l’histoire du sud esclavagiste dont la photographe a voulu témoigner à travers quatre séries : une sur les rivières, chemins d’évasions pour certains, tombeaux pour d’autres ; les églises, voies spirituelles ; les Afro-Américains eux-mêmes ; Virginia « Gee-Gee » Carter, la domestique de sa famille. Comme elle le dit, le passé violent est partout dans son œuvre : « J’ai pris mon parti de l’histoire dans laquelle je suis née, des gens qui vivent cette histoire et de la terre sur laquelle je vis, et ce avant même d’avoir su lacer mes chaussures. Même ainsi, je ressentais une certaine honte et un vague sentiment de responsabilité ; le passé me hantait, qui surgissait comme du fond des temps.»
© Sally Mann