Andiamo in Italia ! Du 7 au 10 avril se tenait la troisième édition du Venezia International Photo Festival, un programme de workshops organisé sur l’île de San Servolo. Et pour l’occasion nous avons intégré celui de Reza, grand photoreporter iranien, témoin de notre monde. Récit.
Ce jeudi 7 avril 2022 quand le réveil a sonné aux aurores, le trac s’est mêlé à l’excitation. Me voilà partie pour l’aventure VIP ! Le Venezia International Photo festival rassemble durant quatre jours passionnés et grands noms de la photographie sur San Servolo, petite île située à dix minutes de vaporetto de la place Saint-Marc. Et pour mon premier workshop, j’ai choisi de suivre Reza, photoreporter de renom. Débarquée sur l’île qui a autrefois accueilli un couvent, puis un hôpital militaire et enfin un hôpital psychiatrique, je pose mes bagages dans une chambre très sommaire – il faut bien se mettre dans le bain. 14h30, le festival est officiellement lancé et les participant·e·s rejoignent leur « master » respectif parmi lesquels figurent Julien Mignot, Éric Bouvet ou encore Ann Ray et Alan Schaller, entre autres. Au total, dix-huit photographes ont répondu présents à l’évènement co-produit par l’association pour la diffusion de l’art photographique (Adap) et l’île de San Servolo.
© Didier
À chaque professeur·e sa méthode, son approche et son planning. Avec Reza, nous retournons sur les bancs de l’école durant la première après-midi. « Nous allons passer les prochains jours à jouer », lance notre guide. Dans le grand théâtre, les étudiant·e·s se livrent à leur premier exercice : présenter une dizaine de photos. Un dévoilement en mots et en images. Pour la majorité d’entre eux, il s’agit de leur premier workshop. « Je suis très loin de ma zone de confort », lance Maria, une fois au tableau. « C’est la première fois que je montre mes photos dans ce cadre », confie plus tard Damien. Simon, Dario, Audrey, Olivier, Roxana, et Didier se plient eux aussi au jeu, dans une atmosphère bienveillante – les disques durs et clefs USB naviguent de mains en mains, et on s’applaudit à chaque passage. « C’est un temps indispensable : les stagiaires se rencontrent et commencent à échanger véritablement », me confie celui qui comptabilise près de quarante années de formation.
Tourisme, parfum, joaillerie, finance ou retraite… Toutes et tous viennent d’univers différents et partagent une passion incontestable pour le 8e art. Une clef indispensable pour pratiquer, car selon Reza, « on a besoin de passion dans tout ce qu’on entreprend dans la vie ». Et que serait la passion sans réflexion ? « Qui sommes-nous ? Que faisons-nous et pourquoi le faisons-nous ? Vous connaissez sans doute la méthode des 5 W utilisée dans le journalisme et le photojournalisme : what, why, who, when et where. Le pourquoi est sans doute le plus important à mes yeux. » Durant ce premier visionnage, les remarques personnalisées se multiplient et le professeur rappelle les fondamentaux : observer, purifier son cadrage, le tout en accord avec la déesse de la photographie, « the light ». Le groupe est à présent constitué, si bien que ce premier soir – comme tous les suivants – nous dînons ensemble. L’occasion de poursuivre nos échanges sur ce qui nous réunit ici : la vie, la photographie, et Reza !
© Dario
Montrer différemment
Comment la photographie peut servir l’humanité ? Vaste question qui accompagne le photoreporter depuis ses débuts et qui fera l’objet de notre deuxième jour de workshop. Une matinée entière consacrée à sa vie, son œuvre, mais surtout à la place du 8e art dans son rapport au monde. « Je considère la photographie comme une véritable solution », annonce l’éternel optimiste. Cet Iranien architecte de formation fait ses premières armes en tant que photojournaliste en 1979, en pleine Révolution islamique. Il a depuis parcouru une centaine de pays, témoignant des conflits et catastrophes de l’humanité. « Je peux parfois travailler sur plusieurs sujets en même temps. J’essaye toujours de les montrer différemment. Dans le conflit du Haut-Karabakh, je suis par exemple le seul à couvrir la guerre depuis l’Azerbaïdjan, les politiques et médias développant une tendance pro-arménienne », explique le correspondant de la paix. À l’écran défilent des photos dont on ne peut se lasser : des portraits d’enfants et de femmes, le commandant Massoud… « Je déteste la guerre et pour exprimer mon pacifisme, pour montrer les dégâts engendrés, je travaille mon lien au sujet, je me concentre notamment sur les regards. Les spectateurs ne se lasseront jamais de voir un regard. C’est d’ailleurs pour ne pas le dénaturer que je cache la marque de mon boîtier. »
Pour servir l’histoire de l’humanité, il faut montrer et transmettre. Reza revient sur quelques-unes de ses installations monumentales en extérieur et nous rappelle l’impact de l’image dans l’espace public. La pédagogie est arrivée très vite dans sa carrière. Langage de l’image, information et communication, notre master aime travailler auprès des jeunes générations, et de réfugiés français ou étrangers. Celui qui parle plus de sept langues aime dire à ses disciples : « J’ai une bonne nouvelle pour vous : je vais vous apprendre un outil qui parle tous les langages et va vous permettre de dire au monde ce qui se passe ici. » Reza se dévoile aussi. Il nous présente sa femme Rachel, écrivaine, commissaire d’exposition et directrice de l’agence Webistan, et nous raconte ses escales au Louvre, en 1981, aux côtés de Georges de La Tour. Il nous confie que c’est au Caire qu’il savoure ses meilleures chichas, nous montre sa trousse de voyage/survie et ses dizaines de cartes SIM. Une matinée délicieuse, bien que poignante qui nous fait oublier que l’organisation manque de rigueur – on ne compte plus les petits bugs techniques et logistiques durant le séjour.
© à g. Didier et à d. Simon
La photo, ce n’est pas du zapping
Deux heures plus tard, nous jouons les photoreporters dans la ville des amoureux. Notre mission ? Nous écarter de la traditionnelle vision « Venise carte postale ». Des binômes se forment, et quelques solitaires prennent le large. Nous voilà lâché·es dans la marée de touristes, à l’écoute de notre créativité. Reflet de l’eau, vitrines, locaux en pleine action… Il faut bien le dire, Venise est un sujet difficile pour nous autres apprenti·es photoreporters. Pourtant, à notre retour sur l’île San Servolo, Reza est intransigeant : « Je veux voir toutes vos images, pas d’éditing ni de retouche ! On est souvent trop exigeant avec nous-même, et puis notre regard est gorgé d’affect. »
Livraison de nos premières images le lendemain matin, avant de se lancer dans un second reportage. Et cette fois-ci, ce sont les autres workshops qui constituent des sujets potentiels. Simon couvre une journée de shooting avec le portraitiste Nicolas Guerin, Didier suit le street photographe Alan Schaller, et Damien embarque avec le photographe animalier Laurent Baheux pour une expédition qui vire à la tempête. Dario et Roxy se rendent au marché puis sympathisent avec des artisans du verre, sur l’île de Murano. Maria et Audrey ont quant à elles choisi de documenter des maquilleuses et leurs modèles, en intégrant le cours d’Ann Ray. Et comme elles, Olivier et moi restons sur l’île afin de documenter son passé psychiatrique. Une journée intense, mais enrichissante. Le groupe se retrouve pour une ultime session de travail : Reza sélectionne nos meilleures images, et livre ses derniers commentaires. « La photo, ce n’est pas du zapping. La photo, c’est comme la pêche, il faut observer, attendre, et travailler ses angles et compositions. » Toute évidence est bonne à rappeler. Jusqu’à minuit, nous observons comment, de son regard, il parvient à déceler l’âme d’une image. Déclics, frustrations, ce temps de lecture donne surtout à voir de fabuleux clichés. Confiance, fil rouge narratif, ou lien au sujet… Chacun et chacune a trouvé durant ces trois jours de formation une réponse. « Je pratique la méditation tous les jours, mais la vraie méditation reste la photographie », nous révélait Reza la veille. Car pour servir l’humanité, il faut pouvoir être conscient·e·s de notre présence au monde. Et cela n’est pas donné à tout le monde. Nous avons eu, en ce sens, l’un des meilleurs masters de cette édition.
© Maria
© Roxy
© Dario
© Maria
© Simon
© Audrey
© à g. Audrey, et à d. Damien
© Roxy
© Olivier
© à g. Simon et à d. Olivier
© Anaïs
Image d’ouverture © Anaïs