Exil et émancipation : Sara Kontar réinvente sa terre d’asile

Exil et émancipation : Sara Kontar réinvente sa terre d'asile
© Sara Kontar

D’origine syrienne, Sara Kontar a quitté son pays pour échapper aux affres de la guerre. De son vaste périple, la photographe a su cultiver une force inspiratrice, mais surtout émancipatrice. Dans ses séries, elle réinvente ainsi une terre d’asile, seule manière de se réapproprier l’exil qu’elle a subi.

« Je m’appelle Sara Kontar. Je suis née en Lybie, mais j’ai grandi en Syrie. Mes parents et moi avons rejoint le pays quand j’avais 5 ans et j’y ai vécu jusqu’à mes 19 ans. »

C’est en ces mots que la photographe de 25 ans commence notre entretien. Si le 8e art la fascine depuis son plus jeune âge, rien ne la destinait pourtant à une telle profession. « Il n’y aucune école spécialisée dans cette discipline là-bas. À part les clichés de famille ou de mariage, la photo documentaire ou artistique n’existe pas, déplore-t-elle. L’art n’est pas pris au sérieux, ce n’est qu’une lubie ou, au mieux, un hobby. » Après avoir étudié l’architecture pendant un an pour satisfaire les attentes de la société, elle déménage à Damas en 2015. Un changement anodin en apparence qui bouleversera à jamais son existence.

« À Lattaquié, où se trouvait mon université, tout était très calme. Le conflit n’existait pas, car c’est la ville de Bachar Al-Assad », raconte Sara Kontar. À Damas, elle découvre alors les bombardements quotidiens et les horreurs de la guerre. C’est aussi la première fois qu’elle se retrouve seule, livrée à elle-même. « À l’époque, ma mère – qui est psychologue – était déjà partie pour la France grâce à un système d’échange professionnel. J’étais séparée de mon frère jumeau, mais nous avons décidé de nous rejoindre et de partir à notre tour. Des lois qui allaient fermer les frontières avec la Turquie venaient d’être votées. C’était l’un des seuls passages vers l’Europe. En dix jours, c’était fin décembre 2015, nous avons pris un avion. Une semaine plus tard, il n’était plus possible de quitter le pays », explique-t-elle.

© Sara Kontar

Prendre sa revanche sur le passé

Si se sentir rejeté·e de sa propre terre est une expérience déjà brutale, celle de l’artiste l’est d’autant plus. Comme pour marquer une rupture totale avec son passé, le jour de son départ, son téléphone a supprimé toutes ses données. « Je n’avais pas d’ordinateur, pas de copie, se souvient-elle. J’ai perdu 3000 photos de mes amis, de moments importants, tous mes souvenirs. » Sans repères et en proie à une dépersonnalisation, elle entame alors une longue errance de deux mois. Elle rencontre des passeurs et tente de survivre par tous les moyens. « Un jour, mon père – qui est resté en Syrie – m’a appelée et m’a conseillé de documenter mon voyage. Il m’a dit que ça allait me manquer. Je lui ai répondu que j’allais le faire, mais je lui ai menti. Sur le moment, je n’en avais pas envie. Je voulais simplement oublier. Aujourd’hui, je regrette. »

C’est à la suite de ces deux évènements que Sara Kontar se rend compte de l’importance des images. Lorsqu’elle arrive en France, elle s’inscrit à un programme d’intégration destiné aux réfugiés avant d’être admise aux Arts Décoratifs. C’est là-bas qu’elle achète son tout premier boîtier argentique auprès d’une autre étudiante. Un rêve d’enfant qu’elle réalise enfin. « Ce qui m’attirait, avec ce genre d’appareils, ajoute-t-elle, c’est que les pellicules, une fois développées, ne se perdent pas. » Une belle manière de prendre sa revanche sur un passé qu’elle a subi, même si elle « ne [se] considère pas comme une victime ».

© Sara Kontar

Pallier une absence de contrôle

L’an dernier, Sara Kontar a retrouvé quelques images sauvegardées automatiquement par son téléphone. En pleine écriture de son mémoire, elle menait alors toute une réflexion sur l’exil. Ces bribes de souvenirs, exhumés du passé, sont alors devenues un matériau inestimable qu’elle décide de retravailler au cyanotype. « C’est comme ça que la photo s’est transformée en véritable moyen d’expression, mais aussi en thérapie, explique-t-elle. Je conçois des choses que je ne parviens pas à faire exister autrement, et ça me soulage. »

Depuis l’obtention de son statut de réfugiée, Sara Kontar ne peut plus retourner en Syrie, où « tout un tas de petites choses toutes bêtes » lui manquent. Pour pallier cette absence de contrôle, elle s’est alors forgé des mondes imaginaires. « Ce sont toujours des maisons hors de portée et des corps en quête de leur terre, décrit-elle. Il y a aussi un lien avec la nature, au-delà des questions politiques ou climatiques. C’est l’humain et sa terre. C’est tout simple, mais c’est la relation que nous entretenons avec nos racines, nos souvenirs… Ne plus pouvoir y accéder physiquement n’est pas facile. » Ses images, animées par ses transports, cristallisent une déconnexion avec la réalité, renforcée par les teintes monochromes de ses clichés. « J’ai envie de créer quelque chose qui me ressemble et les couleurs d’ici ne sont pas les mêmes qu’en Syrie », confie l’artiste.

© Sara Kontar

Démocratiser une image soumise à la dictature

Maisons inaccessibles

, Visages effacés, Les Corps sur les rochers… Toutes ses séries se présentent comme une variation d’un même thème. Appréhender différemment son histoire permet à Sara Kontar de mieux se réapproprier les évènements qui se sont imposés à elle. L’eau, les récifs ou les arbres sont autant d’éléments naturels que de manières d’ancrer dans ses territoires recréés, sa réalité réincarnée. « Je me trouve dans une espèce d’entre-deux. Je ne suis plus là-bas, mais je ne suis pas ici non plus. J’ai un rapport plus fragile à l’espace… Mais en même temps, ajoute-t-elle pensive, quand je suis arrivée, je ne connaissais pas les gens ni leur mentalité. Tout était étrange. C’était déstabilisant, mais il y avait également une énorme liberté. Je viens d’un endroit radicalement différent. Ici, je pouvais enfin m’exprimer et me réinventer, passer d’un monde à l’autre. »

Les pierres ou les bâtisses, si présentes dans ses compositions, symbolisent la déconstruction entamée dès son arrivée en France. « La personne que je suis aujourd’hui relève de choix que j’ai entrepris par le passé. Avant, il y avait la société, la famille, la question de l’argent… Maintenant, je suis maîtresse de mes décisions. » À défaut d’avoir pu s’épanouir sur sa terre d’origine, Sara Kontar a su s’en ériger une nouvelle, allégorie d’une renaissance désirée. En avril 2021, l’artiste a également créé Eyes from Syria, un compte Instagram qui soutient les rares photographes syriens. Pareille à un sanctuaire, sa plateforme rassemble des êtres incompris, animés par la même passion. L’espace d’un instant, elle fait subsister le rêve pour oublier la guerre. Sans manquer de démocratiser une image pareillement soumise à la dictature de la représentation.

© Sara Kontar© Sara Kontar
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© Sara Kontar

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