Avec sa série Finding the red, Ole Marius Joergensen met en scène ses repères émotionnels. Par des évocations picturales et cinématographiques, l’artiste norvégien nous conduit sur la route de ses souvenirs.
« Et toi, quel est ton film préféré ? » Depuis le premier film projeté, en décembre 1895, le cinéma aura su construire des imaginaires riches et multiples. Il y a fort à parier que les frères Lumière, qui popularisèrent ce qui deviendra un art furent aussi des passeurs de souvenirs pour beaucoup de spectateurs. Ces petits morceaux d’histoire propres à chacun sont un des matériaux de travail qui ont servi à Ole Marius Joergensen pour réaliser sa série Finding the red.
C’est en les mélangeant aux vestiges mémoriels et impressions de son enfance que l’artiste norvégien construit son récit. « Le cinéma a jeté les bases de mon langage visuel. Durant mes jeunes années, j’étais fasciné par les films hollywoodiens et par l’utilisation de la lumière, se souvient-il. Comment rendre un endroit beau ou effrayant simplement par des éclairages ? Puis, j’ai découvert Twin Peaks et tout a changé. » Pour Ole Marius Joergensen, la découverte de la série de David Lynch est une véritable révélation. Il comprend alors que les différentes pratiques artistiques ne sont pas cloisonnées, qu’il existe des passerelles, des dialogues.
Des plans séquences immobiles
Pourtant, celui qui se rêvait réalisateur alors qu’il étudiait le cinéma s’est un temps détourné du 7e art. « L’industrie cinématographique en Norvège, au début des années 2000, ne me plaisait pas, confie O.M. Joergensen. J’ai petit à petit perdu ma motivation, mais je manifestais toujours de l’intérêt pour la caméra. Alors j’ai repris mes études dans une école de photographie avec la conviction que je voulais faire de l’art. » Il est difficile d’oublier ses premières amours et très vite, un mariage esthétique se forme dans les images de l’artiste. Pour s’en convaincre, il suffit de se plonger dans Icy Blondes, sa série célébrant les héroïnes hitchcockiennes.
C’est donc naturellement qu’Ole Marius Joergensen revient à une forme de mise en scène avec Finding the red. Dans les images de cette série terminée en 2019, la narration se retrouve sertie dans des plans séquences immobiles. Bien qu’il reconnaisse une forte similitude avec ses travaux précédents, le photographe a voulu un ensemble plus personnel. « Je me suis demandé ce qui m’a façonné en tant qu’artiste, analyse-t-il. Je pense que le déclencheur a été un jour de 1989 où, je suis entré dans une librairie de quartier, alors que je rendais visite chez mon oncle à San Francisco. Je suis tombé accidentellement sur un livre de Kevin Clarke intitulé Le Canapé rouge. Les images que j’y ai trouvées sont longtemps restées dans ma mémoire et je crois que c’est ce livre qui m’a orienté vers le monde de l’art. » Si cette quête d’identité pouvait être résumée en une image, ce serait celle du détective découvrant un canapé rouge sous une bâche en plastique. « Et donc voici Le Canapé rouge et Twin Peaks réunis, s’amuse-t-il. »
L’ombre d’Edward Hopper
Les influences auxquelles Ole Marius Joergensen se réfère dans Finding the red ne se limitent pas au cinéma et à la photographie. Deux domaines qui entretiennent une filiation directe évidente. Il y a plus que cela. Dans ses images, l’artiste norvégien convoque également la peinture. Elle fait partie intégrante de son processus créatif. « La peinture est ma première source d’inspiration, explique-t-il. Une période que j’affectionne est celle de la seconde moitié du XIXe siècle. Ces artistes avaient tout compris de la qualité de la lumière, de la composition et des ambiances. Il arrive qu’en regardant une peinture, cela éveille quelque chose en moi qui se traduira par une image. Parfois ça marche, et parfois non.»
Pour autant, c’est vers la première moitié du XXe siècle qu’il nous faut regarder pour saisir pleinement l’impact de la peinture sur l’imaginaire d’Ole Marius Joergensen. Dans Finding the red, l’ombre d’Edward Hopper (1882-1967) ou « le conteur de la toile blanche », comme le réalisateur Wim Wenders le surnommait, est souvent présente. Les diners désertés, des êtres seuls avec eux-mêmes, des stations-service perdues… On retrouve cela aussi dans les photographies de l’artiste norvégien. « Lorsque je les ai découvertes, les images d’Edward Hopper m’ont immédiatement parlé, nous dit-il. Très vite, je me suis abandonné à son univers lent et silencieux.»
Finding the red est une déclaration !
Lorsqu’on fouille dans son passé, sa mémoire, ses souvenirs, il émerge souvent une nostalgie douce. C’est peut-être cela que nous partageons : un imaginaire collectif qui façonne notre culture commune. Libre à chacun ensuite d’en extraire ce qu’il veut et de se l’approprier. C’est ainsi que les images faites par d’autres – en d’autres lieux et d’autres époques – deviennent des morceaux de soi. Un moyen pour Ole Marius Joergensen de résister à la marche dictatoriale du temps.
« Finding the red est une déclaration ! À tout niveau, je crois que notre société va dans la mauvaise direction, affirme l’artiste. Pour moi, du moins en Norvège, la meilleure époque fut celle des années entre 1960 et 1980. J’ai l’impression que tout rayonnait de plus de vie et d’énergie. Maintenant, tout a l’air mort. Regardez comment nous nous habillons, les objets que nous produisons… Tout cela sans le moindre sentiment. Nous devenons une société grise, conclut Ole Marius Joergensen.»
© Ole Marius Joergensen