Installé à Chicago, Steve Salgado surmonte sa timidité grâce à la street photography. Dans les méandres assourdissants de la métropole, il donne à voir toutes ces bribes d’humanité s’effaçant dans le vaste tumulte qui envahit l’esprit et les rues.
Dans la solitude moderne des métropoles se perd le directeur créatif d’une agence publicitaire. Comme Vivian Maier, Saul Leiter ou Alex Webb avant lui, il prend le temps de contempler le monde alentour, imperméable à celles et ceux qui ne jouissent pas du privilège du flâneur. Bien conscient de sa chance, Steve Salgado de son nom fige le mouvement permanent de ces rues qui fourmillent à l’aide d’un boîtier. Une réplique tirée de La Folle Journée de Ferris Bueller, un film de John Hughes, sorti en 1986, ne l’a jamais quitté : « La vie passe tellement vite. Si tu ne t’arrêtes pas pour regarder autour de toi de temps en temps, tu pourrais la manquer ». Pendant de nombreuses années, le dessin lui a permis d’exprimer cette pensée, mais au sortir du premier confinement, la photographie a fini par s’imposer comme le médium le plus adapté à sa démarche.
« Tous ces moments fugaces que j’aurais normalement consignés dans un carnet à croquis sont devenus une nouvelle sorte d’obsession qui m’a poussé à documenter tout ce que je pouvais, nous confie Steve Salgado. Aujourd’hui, je sors rarement de chez moi sans un appareil photo et je suis reconnaissant de ce que cela m’a apporté en matière de vision du monde. Cela a créé un lien plus significatif avec la façon dont j’appréhende les communautés dont je fais partie. » Chaque jour, l’artiste américain rejoint le tourbillon effréné de la vie urbaine dans lequel les émotions se tapissent dans l’ombre des autres. Dans une quête insatiable, il recherche ces « brefs et subtils instants qui laissent une trace considérable ». Sur ses clichés, la joie, la fatigue et l’incertitude se lisent tour à tour sur les visages qui défilent au hasard des rues.
La chaleur d’une rencontre fortuite
Au cœur de toute image, un concours de circonstances, un échange entre deux êtres nous plongent, l’espace de quelques secondes, dans la réalité de l’autre. « J’ai récemment pris une photo dans le métro new-yorkais, étaye Steve Salgado. C’était l’un de ces moments fugitifs où l’on croise le regard d’un étranger qui passe par là. Un couple qui semblait avoir passé une longue journée en ville venait de s’installer sur les sièges. La femme a posé sa tête avec soulagement sur l’épaule de son partenaire. Il y a quelque chose dans son expression qui, tout du moins de mon point de vue, raconte cette histoire. Revoir ce cliché suffit à me remémorer les moindres détails de cette scène. »
Si cet acte créatif se présente comme une manière d’assouvir un goût pour ces petites choses, anodines en apparence, qui composent le quotidien de chacun et chacune de nous, la portée de son geste est tout autre. De nature introvertie et sensible, Steve Salgado utilise son médium pour aller au-devant des citadin·es qu’il n’oserait pas aborder autrement, « par manque d’excentricité ». « Si la plupart de mes images sont tout au plus des instantanés, quelques-unes ont mené à de merveilleuses conversations qui valent souvent bien plus que n’importe quel cliché. Au-delà de cela, la communauté qui gravite autour de la street photography est extrêmement solidaire et pleine de personnes passionnées qui aiment créer », tient-il à souligner. La bienveillance qui émane d’une telle entreprise ne peut que nous inciter à prendre le temps de substituer la chaleur de chaque individu à celle des foules compactes.
© Steve Salgado