Au musée du quai Branly – Jacques Chirac, Françoise Huguier propose un tour du monde singulier. Elle rassemble dans l’exposition Les curiosités du monde de Françoise Huguier des objets glanés au fil de ses voyages. Un carnet de route, palpable intime, et rocambolesque.
Des dents de cachalots, un bouddha d’Indonésie, une étoile rouge trouvée dans un cimetière de Goulag, des paquets de cigarettes chinois, un crâne humain venu du Népal… Les yeux s’écarquillent face aux objets récoltés par Françoise Huguier au fil de ses pérégrinations. À l’occasion de son exposition Les curiosités du monde de Françoise Huguier au musée du quai Branly – Jacques Chirac, Fisheye s’est immiscé dans l’atelier-maison de l’artiste. Rythmée par quelques miaulements de son matou dénommé Max, la rencontre est à l’image de la photographe : aventureuse et pleine de rebondissements. Entretien.
Fisheye : Cabinet de curiosité, collection, comment définis-tu cette exposition ?
Françoise Huguier : Ce n’est pas une collection, j’ai horreur de ce terme. Je préfère cabinet de curiosité, ou tout simplement, petit jardin secret. C’est encore mieux. Cette exposition rassemble les cailloux ramassés le long de mon chemin, un journal de bord construit avec différents objets de voyages.
Quelle est la genèse de cette exposition ?
Lorsque je mentionnais mon idée de faire une exposition sur des objets, on me répondait « non Françoise, tu es photographe ! ». À chaque fois on nous met dans une case. Cela m’agace. Comme je tenais beaucoup à ce projet, je suis allée voir Stéphane Martin, l’ancien président du Musée du quai Branly. J’ai tout de suite pensé à ce lieu culturel, il faisait sens. Stéphane a trouvé le concept génial et a accepté. C’était il y a deux ans, ce sont des idées qui prennent du temps à mettre en place. On l’a déjà exposée une première fois à Toulouse avec une scénographie différente. Elle a été pensée avec les différentes pièces d’une maison : le salon, la cuisine, ou encore la chambre à coucher…
Quelle est la scénographie imaginée pour le musée du quai Branly – Jacques Chirac ?
L’exposition se déroule sur la mezzanine centrale du musée – l’atelier Martine Aublet. Je l’ai réimaginée en sept thématiques : Il était autrefois, Cuisine, Chaud/Froid, Mangas érotiques, Masques, Vaudou et Images.
Dans le thème cuisine par exemple, je présente, des assiettes réalisées en fils électriques dans les bidonvilles de Durban, en Afrique du Sud. Mais aussi un souvenir japonais assez drôle : il s’agit d’assiettes avec de la fausse nourriture en résine – cela paraît très réel. Au Japon, il n’y a pas toujours des menus en format papier, ces assiettes permettent donc au client de choisir son repas. Cela avait d’ailleurs fait l’objet d’un reportage. L’objet le plus improbable ? Un samovar, venu de Russie. C’est interdit d’en ramener, je l’ai fait “voyager” en douce.
D’où te vient cette fascination pour les objets ?
Mon mari, Gérard, est diplômé des arts déco. Certains de ses amis ont étudié le graphisme, et il y avait toujours beaucoup d’objets chez eux. Je m’en suis inspirée dès mon premier voyage. Dans ma famille, il y a toujours eu beaucoup d’objets aussi.
Selon toi, quelle est la différence entre un objet et une photographie ?
L’objet est sensuel, on peut le toucher, alors que la photographie est abstraite. On peut toucher les pellicules, mais maintenant avec le numérique, il n’y a que l’abstrait qui rentre en jeu. Heureusement j’ai la plupart du temps travaillé à l’argentique. Bien que cela ne soit pas en relief, on touche la pellicule, et le tirage.
Que ce soit dans mon studio ou dans mon appartement, je vois et vis avec les objets. Mes photos sont pour la plupart rangées dans des boîtes. Il n’y en a que très peu accroché à mes murs. Cela continue d’étonner les visiteurs. Ce sont mes petits secrets : je les connais par cœur, et je ne veux pas les exposer. Mais certaines ont tout de même été montrées dans l’exposition, afin d’effectuer des collages.
Tes valises de voyages sont-elles toujours remplies d’objets ?
À part l’appareil photo et les pellicules, il n’y a effectivement pas beaucoup de vêtements. À l’époque, quand j’arrivais à l’aéroport, il suffisait de mettre le pied sous la balance pour que le poids de mes bagages diminue. Maintenant ce n’est plus possible de le faire…
Ce sont des achats ou des trouvailles que l’on t’offre ?
Pour la plupart, je les achète, je les glane. Mais certaines pièces sont des cadeaux. Comme la défense de morse gravée à la main, sur laquelle on peut lire « Françoise Huguier » et voir ma silhouette à côté. C’était en 1992, je suis partie à la chasse au morse en Sibérie. Les chasseurs vivent dans des yourtes, j’en garde des souvenirs grandioses. L’un d’eux m’a offert ce cadeau personnalisé, j’étais très touchée. Mais je n’avais pas le droit de la ramener théoriquement, c’est interdit… Au moment du retour en avion, je l’ai caché sous mon grand imperméable. Par chance, je voyageais avec une majorité de Vietnamiens, les Russes les détestaient, alors les douaniers ont passé un temps conséquent à les fouiller. Quand ils m’ont vu, ils m’ont laissé passer tranquillement.
Quel est le premier objet que tu as ramené de voyage ?
Dans les années 1977, j’ai ramené des soucoupes volantes. Ce sont des jeux pour enfant. Je fais partie de la génération qui a vu à la télévision noir et blanc les Américains sur la lune. Cela m’a inspirée.
Et le dernier ?
C’est un boubou brodé, très large, assez ancien, provenant du Mali. J’ai une attache particulière à ce pays. J’ai une maison là-bas, et j’y ai créé la Biennale de Bamako. En ce moment je prépare un reportage intitulé Le salon des riches, il y a beaucoup de riches familles au Mali. Ces dernières années ils regardent tous la série Dinasty et demandent à ce que leur salon et chambre soient construits de la même manière, c’est hallucinant, et tellement kitsch. Je suis allée chez un homme qui dirige le patronnat français. Et niveau décoration, on se situe entre Versailles et la chapelle Sixtine.
Quel est l’objet que tu n’as jamais pu emporter ?
Une splendide panthère noire. Empaillée, bien évidemment. C’est tellement magnifique et majestueux. Malheureusement, je n’ai jamais pu en ramener. Autrement, je dirai un miroir avec des défenses d’éléphant. J’ai vu cet objet chez un antiquaire rencontré en Birmanie. Sur le moment, je me suis dit que niveau éthique ce n’était pas très bien, aujourd’hui, je regrette.
Quels sont les cinq objets qui te définissent le mieux ?
Quelques robots venus du Japon, surtout ceux en métal de l’époque de Goldorak (héros-robot de l’espace dans l’émission Grendizer Raids diffusée sur Antenne 2. Aujourd’hui, on trouve uniquement des robots en plastique, cela perd de son charme.
Une extraordinaire pin up russe datant des années 1970.
Un livre collector déniché par pur hasard dans une brocante à Moscou dans les années 1990. À l’intérieur, on y trouve les couronnes mortuaires du monde entier envoyées au moment du décès de Lénine, en 1924. C’est un ouvrage très rare.
Une revue sur la construction de l’Union soviétique piquée dans une bibliothèque, que j’ai achetée en brocante à Saint-Pétersbourg. La maquette a été réalisée par Alexandre Rodtchenko. Le graphisme des affiches, papiers peints de l’époque soviétique est incroyable.
Et enfin, l’objet le plus important est mon fétiche….
Un fétiche ? Peux-tu nous en dire plus ?
Je suis animiste. J’ai été élevée religieusement, mais l’histoire des religions me fascine.
Il s’agit d’un cadeau de Jean Jacques Mandel. Un ami journaliste et anthropologue, c’est lui qui m’a poussée à aller en Afrique. Il avait raison, j’y vais très souvent depuis. Il est désormais antiquaire d’objets africains et il me l’a offert en me disant « cela te va très bien, c’est tout à fait pour toi ».
Il a plein de plumes, et vient du Bénin. Si vous le touchez, vous êtes maraboutés. Il est exposé dans la vitrine Vaudou aux côtés du missel de ma grand-mère, des diables du Mexique, ou encore du reliquaire de Saint-Hippolyte avec des petits bouts d’os – j’adore les reliquaires.
Combien d’objets as-tu amassés ?
Je ne les ai jamais comptés. J’en ai photographié environ 400, mais j’en ai bien plus. Le plus dur pour l’exposition a été de faire un choix. Nous avons choisi avec Gérard ceux qui nous font rire, ou ceux qui nous marquent. Ce vaste travail fait également l’objet d’une publication de 240 pages aux éditions Filigranes : La Curieuse.
Un dernier objet dont tu veux parler ?
Les petits masques ramenés de Jakarta que portent des singes lors de représentations. Ce sont des singes domptés de Bornéo qui réalisent des spectacles dans la rue avec des robes et des masques, c’est mignon. C’est interdit maintenant, même si des personnes en banlieue de la ville le font encore.
Pour l’anecdote, lors d’un voyage en Indonésie, je photographiais des petites filles asiatiques très apprêtées. J’étais hallucinée… Je voulais faire une expo en lien les photos des petites filles et des petits singes, mais cela n’est pas du tout “passé” (rires).
La Curieuse, Filigranes, 35 €, 248p.
Les curiosités du monde de Françoise Huguier au musée du quai Branly – Jacques Chirac à Paris jusqu’au 11 octobre 2020.
© Françoise Huguier