Dans une série intitulée Courts, Ward Roberts a photographié les terrains de sport, durant plus de quatre ans. Aujourd’hui, il revient sur la genèse et l’évolution de ce travail singulier et poétique. Cet article, rédigé par Maxime Delcourt, est à retrouver dans Fisheye #6.
Nous avons l’habitude de les penser grandioses et impersonnels. Des millions de jeunes athlètes s’y rêvent glorifiés par des milliers de supporters déchaînés. Les terrains de sport font partie de l’imaginaire collectif, mais peu d’artistes en ont fait la figure centrale de leur œuvre. De Londres à New York, de Hong Kong à Bali, Ward Roberts a parcouru le monde pendant plus de quatre ans en nourrissant un projet photographique consacré à ces playgrounds. « Je ne me suis pas obligé à faire de nombreuses recherches sur Internet pour trouver de bons endroits. Tout cela s’est fait au fur et à mesure. Parfois, plusieurs semaines ou plusieurs mois pouvaient s’écouler entre deux photographies », précise-t-il. Avant de justifier sa démarche : « J’aime le sport, ça fait partie de ma culture. Je pense donc en comprendre le langage, ce qui est pour moi essentiel si l’on veut faire de bonnes photographies. Mon travail est donc de retranscrire l’atmosphère de ces lieux, mais aussi de mettre en avant leur architecture. C’est pour cela que mes images regroupent différents terrains de sport. Ça permet de mettre l’accent sur leurs différences, mais aussi leurs similitudes. »
L’étonnant paradoxe de la série Courts tient en effet au peu d’intérêt du photographe australien pour l’aspect purement compétitif du sport. Dans ses travaux, les terrains sont toujours vidés de leur public et du show auxquels ils sont communément associés. Seule reste l’architecture, que Ward Roberts magnifie en se focalisant sur les lignes droites, les couleurs (pastel, de préférence), les matières et l’environnement : « J’ai toujours eu une certaine attirance pour les lieux vidés de leur fonction habituelle. Depuis mes premières photos au lycée, j’aime enlever tous les éléments parasites présents aux alentours pour ne garder que l’architecture et les paysages. Pour Courts, c’était une façon de montrer que ces terrains de sport ne sont pas que de simples lieux de spectacle. Quelque chose de plus touchant peut se cacher derrière. »
Mettre le sport sur pause
Voilà aussi pourquoi les photographies de Ward Roberts sont réussies. Parce qu’elles démontrent à quel point le sport est poétique. Les terrains de football, de tennis ou encore de basket, une fois les matchs terminés, n’ont rien d’une nature morte et restent des lieux chargés d’histoires : « Ces espaces ont un tel impact sur notre vie et sont tellement associés à de grands spectacles que le simple fait de les voir désertés de toute présence humaine nous dévoile un aspect que l’on ne connaissait pas d’eux. Les photographier sans supporters et sans athlètes permet au spectateur de laisser libre cours à son imaginaire. » Certes, mais selon un schéma bien précis : « Pour faire une bonne photo, il faut prendre le temps de mettre le décor en place et de rendre l’ensemble le plus organique possible. C’est pourquoi j’utilise presque exclusivement la pellicule, qui est une façon pour moi de mettre toutes mes forces dans une photo, de faire passer un meilleur message. »
Un message qui, ici, se veut très éloigné des photographies de sport habituelles, avec lesquelles Ward Roberts ne se sent pas vraiment de lien : « Bien entendu, la photographie de sport permet de saisir un instant historique, quelque chose d’unique dont beaucoup se souviendront, surtout dans un univers où tout va très vite et où tout change rapidement. Mais je ne suis pas touché par ça. Je préfère nettement me concentrer sur l’imaginaire et sur les structures architecturales des lieux qui accueillent les événements sportifs. » Avant de nous quitter, Ward Roberts avoue d’ailleurs avoir encore envie d’explorer le monde et de poursuivre ce projet, seul face aux terrains de sport.
© Ward Roberts