Animée par une force intuitive, Namratha Thomas immortalise par l’image un instant qui s’échappe. En entremêlant collages et photographie argentique, elle instaure un dialogue entre le délitement du souvenir et sa préservation par le renouvellement.
« Chacun de mes projets me représente à différentes étapes de ma vie »
, commence Namratha Thomas sur le ton de la confidence. Aujourd’hui installée à Paris, l’artiste a grandi en Inde. Là-bas, la promiscuité et le brouhaha permanent du quotidien entravent son besoin de solitude. Pour pallier cet inconfort, elle gagne régulièrement les montagnes alentour qui apparaissent comme de véritables sanctuaires où la sérénité culmine. « J’ai toujours habité dans des villes. La nature est devenue un espace idéalisé et une importante source d’inspiration. Tout ce que je photographie, quels que soient les lieux ou les individus, représente des fragments d’existence que je ne veux pas oublier. À défaut d’écrire, je tiens un journal intime visuel », poursuit-elle.
Cette inclination pour le 8e art est arrivée dès son plus jeune âge, « par accident ». Mais lorsqu’elle rejoint les bancs de l’université, elle fait une découverte qui bouleverse son approche : les boîtiers argentiques et les chambres noires. « L’aspect matériel des pellicules rend la photographie malléable. D’une certaine manière, je peux la toucher et la transformer en ce que je veux », nous explique-t-elle. Au fil d’une intuition, après avoir immortalisé un instant évanescent, elle s’adonne à une destruction volontaire et paradoxale de l’image. « Au cours du développement et de l’impression, j’utilise des techniques qui accélèrent la décomposition des clichés. La dichotomie entre cette dégradation et la préservation, l’interaction de deux procédés qui semblent opposés m’intéressent tout particulièrement. »
Renouveler des bribes du passé
Ainsi, les monochromes de l’artiste cristallisent sa volonté de donner corps aux matériaux sensibles que sont la mémoire décadente et le temps volatile, thématiques qui alimentent constamment ses pensées. « Chaque composition s’apparente à une cavité, affirme-t-elle. Les procédés avec lesquels je travaille réduisent considérablement la marge de contrôle que j’ai sur les images. Il est difficile de prévoir ou d’anticiper le résultat final. J’en ai toujours une vague idée mais c’est un processus de découverte, notamment des limites à ne pas franchir. J’utilise un agent tiers pour obtenir ces couleurs délavées, détruire la surface qui renvoie aux ravages du temps. Brouiller toutes ces caractéristiques de la sorte fait allusion à une espèce de souvenir ancien ou imparfait. » Car loin de sa terre natale, les réminiscences se distordent dans les travers de la nostalgie.
Souhaitant recomposer sinon renouveler ces bribes du passé, Namratha Thomas use d’épices ou de substances – notamment de café, de thé, de safran ou de terre – qui lui rappellent le pays de son enfance. « Plus je vieillis, plus le temps semble m’échapper. La photographie est un moyen de faire avec, une tentative d’avoir quelque chose de tangible qui me remémore ce qui a été perdu. Ce projet est une entreprise personnelle, qui m’est destinée avant toute chose. Ce qui m’intéresse est la démarche en elle-même qui n’est pas purement intellectuelle. L’interprétation de mes images dépend des seules dispositions de ceux qui regardent. Je ne souhaite pas dicter d’une quelconque façon les émotions qu’ils devraient ressentir », conclut l’artiste.
© Namratha Thomas