Dans la bibliothèque de Jean-Christophe Béchet #11

18 décembre 2017   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Dans la bibliothèque de Jean-Christophe Béchet #11

Entre 2012 et 2016, Bieke Depoorter, jeune photographe belge documente le quotidien d’Égyptiens rencontrés par hasard. Son projet intitulé Mumkin/Who, lui ayant valu le Prix Levallois 2017, se prolonge avec un ouvrage délicieux. Décryptage

Bieke Depoorter se rend pour la première fois en Égypte en décembre 2011. Fidèle à son approche singulière, elle se fait inviter chez des habitants pour y dormir et y fait des photos de leur vie quotidienne. Son statut de jeune femme l’aide parfois. Et si l’accueil est chaleureux, la méfiance règne. Il lui faudra une grande persévérance pour recueillir, en quatre ans, assez d’images. Chaque fois, elle posera la même question : « Mumkin sura ? »  (ndlr, « je peux prendre une photo ? », en français).

Frustrée par ces rencontres parfois rapides, Bieke a décidé lors d’un ultime voyage de montrer ces images d’intérieur aux Égyptiens l’ayant accueillie. Chacun d’eux note leurs commentaires sur les tirages. Ainsi s’élabore un dialogue à plusieurs niveaux. Des individus qui ne se connaissent pas échangent  grâce à une jeune photographe occidentale (Bieke Depoorter est née en 1986 à Kortrijk, en Belgique). Alors comme l’écrit joliment sa « complice » et traductrice, la journaliste Ruth Vandewalle : « en laissant ces personnes écrire sur le tirage, Bieke intègre la discussion à l’œuvre même : l’image fonctionne davantage comme une interprétation possible de la réalité, la réalité comme elle pourrait être. Ce n’est plus la seule vérité immuable. La photographie témoigne d’un court instant tandis que ces réflexions écrites le prolongent et sont le reflet d’une société en plein questionnement.»

Nazlat al-Samman, Le Caire, mars 2012 © Bieke Depoorter / Magnum Photos

Un beau défi éditorial

Mettre en page un tel projet complexe est un beau défi pour une maison d’édition. En choisissant d’imprimer les images, toutes horizontales, sur un papier dédoublé (dit « à la japonaise »), le livre gagne en épaisseur et en mystère. Des textes et phrases rédigés en arabe recouvrent les photographies et ajoutent une indéniable esthétisation. La répétition des motifs et la monotonie des situations vécues pourraient lasser le spectateur, mais les couleurs appuyées des images de Bieke Depoorter nous gardent en éveil. Et une fois les 43 images « digérées », on peut alors se plonger dans le cahier texte (qui est indépendant). On retrouve alors la traduction des textes écrits sur les photos (qui auraient peut-être gagné à être rapprochées des images elles-mêmes…) et un très instructif récit de Ruth Vandewalle qui nous permet de mieux saisir la portée de ce travail. On aurait aimé trouver aussi une interview un peu poussée de la jeune photographe de Magnum (Bieke Depoorter a intégré l’agence en 2016 après un passage éclair chez « Tendance Floue »). Mais ce petit manque ne gâche en rien notre plaisir devant un travail photographique ouvert sur les autres et, en même temps, parfaitement maîtrisé.  

Bani Murr, Assiout, mars 2016 © Bieke Depoorter / Magnum Photos

Mumkin – Est-ce possible ? (Éditions Xavier Barral, 2017), couverture © Bieke Depoorter / Magnum Photos

Mumkin – Est-ce possible ?, Éditions Xavier Barral, 49 euros, 60 pages reliées à la japonaise, avec un cahier libre contenant le texte et les légendes traduites des images.

 

Image d’ouverture : Mar Girgis, Le Caire, octobre 2015 © Bieke Depoorter / Magnum Photos

Explorez
Ocre : Maxime Antony tisse une mode picturale
© Maxime Antony
Ocre : Maxime Antony tisse une mode picturale
Dans un monde où l’image est souvent éphémère, Maxime Antony nous invite à ralentir. Avec sa série Ocre, le photographe compose un rêve...
14 mars 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
La sélection Instagram #497 : ni blanc ni noir
© collage.art.syb / Instagram
La sélection Instagram #497 : ni blanc ni noir
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine plongent dans un océan monochrome. Iels sondent les nuances de gris, les noirs...
11 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #535 : Clara Vincent et Francesco Freddo
© Francesco Freddo
Les coups de cœur #535 : Clara Vincent et Francesco Freddo
Clara Vincent et Francesco Freddo, nous coups de cœur de la semaine, se sont tous·tes les deux plongé·es dans le médium photographique...
10 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les images de la semaine du 03.03.25 au 09.03.25 : affirmation de soi et curiosité
© Clémentine Balcaen
Les images de la semaine du 03.03.25 au 09.03.25 : affirmation de soi et curiosité
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye partagent des récits d’affirmation de soi. En parallèle, elles révèlent...
09 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
L’exposition Nouvelles Reines face à la houle de l’extrême droite
Nouvelles Reines © Sandra Reinflet
L’exposition Nouvelles Reines face à la houle de l’extrême droite
Depuis quelques jours, l’exposition Nouvelles Reines de la photographe Sandra Reinflet, installée depuis le 19 septembre 2024 – et en...
14 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Ocre : Maxime Antony tisse une mode picturale
© Maxime Antony
Ocre : Maxime Antony tisse une mode picturale
Dans un monde où l’image est souvent éphémère, Maxime Antony nous invite à ralentir. Avec sa série Ocre, le photographe compose un rêve...
14 mars 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
L'IA au service de la photographie de mode : chronique d'un outil créatif
Venus in braces (牙套中的维纳斯) © Nemo Chen
L’IA au service de la photographie de mode : chronique d’un outil créatif
L’intelligence artificielle révolutionne l’industrie de la mode, et par extension nos habitudes de consommation des images. Les artistes...
14 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Taras Bychko : un patchwork d’instantanés pour définir l’émigration 
© Taras Bychko
Taras Bychko : un patchwork d’instantanés pour définir l’émigration 
Dans Where Paths Meet, Taras Bychko compose un patchwork d’instantanés et d’émotions pour définir les contours de l’émigration. Pour ce...
13 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet