Après avoir photographié clandestinement l’invasion soviétique de 1968, Koudelka quitte la Tchécoslovaquie pour l’Europe de l’Ouest, l’Angleterre d’abord, puis la France qui va devenir « nouveau » pays d’adoption. A son arrivée, au début des années 70, ses photos de gitans impressionnent. Il est accueilli chez Magnum, sous l’aile protectrice de Cartier-Bresson. Longtemps apatride, toujours nomade, vivant de peu, dormant à la belle étoile avec son sac de couchage ou chez des amis, Koudelka va rapidement symboliser le mythe du photographe absolu, celui qui ne vit que pour son art, loin du commerce, des commandes et des contraintes sociales.
En 1988, avec son complice éditorial, l’incontournable Robert Delpire, il publie un livre silencieux et mystérieux où les images noir et blanc se succèdent sans légende, ni repères. Son titre parle de lui-même: Exils. Réédité en 1997 et 2014, ce recueil est aujourd’hui l’objet d’une exposition au Centre Pompidou et d’une nouvelle publication exégèse. La mode est aux « livres sur les livres ». Il s’agit généralement de revenir sur une édition fameuse, de la décortiquer, de lui donner cette contextualisation qui fait si souvent défaut aux livres d’auteurs, réputés, souvent à juste titre, obscurs et élitistes.
300 000 négatifs en 10 ans
Voilà donc Koudelka le silencieux, celui qui ne se livre qu’avec parcimonie, et uniquement à des interlocuteurs prestigieux, qui accepte ici d’ouvrir ses carnets et ses archives à Michel Frizot, historien de la photo. Avec La Fabrique d’exils, on plonge donc dans l’univers de Josef : on retrouve bien sûr les photos d’exils, reproduites en petite taille et magnifiquement imprimées. Mais l’essentiel n’est pas là. Il est dans l’analyse historique de cette œuvre. Trouver le bon équilibre entre l’esprit universitaire et le plaisir esthétique n’est pas facile. Ce livre réussit plutôt bien cette gageure. Les textes sont clairs et bien documentés. On apprend beaucoup de chose sur la façon de travailler de Koudelka. On découvre que l’homme déclenche beaucoup (300 000 négatifs en 10 ans) et qu’il ne conserve ensuite que très peu d’images conserve très peu de vues.
On comprend bien son mode de vie et son engagement photographique. Mais on reste sur sa faim sur les questions purement photographiques : pourquoi Koudelka choisit-il cette photo plutôt que telle autre ? Comment s’est effectué le choix des maquettes successives avec Robert Delpire ? On aurait aimé voir plus de planches-contact et de points de vue esthétiques explicatifs. En effet, Exils (dont je possède l’édition de 1997) a toujours été un livre ambigu pour moi. Si je trouve la plupart des images remarquables, d’autres me semblent nettement moins pertinentes. J’espérai donc trouver ici une explication à mes interrogations. Ce n’est pas le cas. Mais peut-être est-ce mieux ainsi, le « mythe » Koudelka est aussi construit sur l’énigme et le non-dit. Alors conservons la légende et oublions nos questions…
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Le livre :
La Fabrique d’Exils
Josef Koudelka
90 images noir et blanc, 160 pages
Textes de Clément Chéroux et Michel Frizot
42 euros
L’exposition :
La Fabrique d’Exils
Jusqu’au 22 mai 2017
Galerie de Photographies,
Forum -1, Centre Pompidou
Place Georges-Pompidou, 75004 Paris