Comme un poison dans l’air

07 juillet 2022   •  
Écrit par Eric Karsenty
Comme un poison dans l’air

Dans Chemical Reaction, le photographe Seba Curtis utilise des procédés techniques pour corrompre ses images de la même manière que les agents neurotoxiques abiment le corps humain. En résulte une série plastique à la beauté troublante. Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.

De l’agent orange utilisé par les États-Unis au cours de la guerre du Vietnam dans les années 1960 jusqu’à l’empoisonnement des opposants au gouvernement russe comme Alexei Navalny en 2020, en passant par le massacre de milliers de Kurdes à Halabja, au Kurdistan irakien en 1988, sans oublier les attentats au gaz sarin à Tokyo en 1995, ou encore l’attaque chimique perpétrée à Douma, en Syrie, en 2018, les agents neurotoxiques utilisés contre les populations civiles sont des motifs d’indignation qui n’en finissent pas d’interpeller Seba Kurtis. Surtout depuis le confinement lié à la pandémie du Covid-19 où il a vu se développer les théories du complot sur internet. « J’ai remarqué que certains de mes amis se détachaient de leurs proches et de leur famille qui n’étaient pas d’accord avec leur opinion, explique le photographe. J’ai cherché différentes approches, et les agents neurotoxiques et les armes biologiques ont commencé à retenir mon attention. J’ai donc enquêté sur les cas les plus notoires. » C’est ainsi qu’est née Chemical Reaction, une série entre mémoire et politique qui interroge « l’impunité d’actes terribles et la facilité avec laquelle nous oublions », ajoute l’artiste. 

© Seba Kurtis

Champ d’expérimentation 

Mais Seba Kurtis n’est pas un photographe classique, son travail sur l’image se traduit par des expérimentations plastiques et graphiques qui sont autant d’incarnations qui ne laissent pas indifférents. Les lecteurs de Fisheye se souviennent peut-être d’un portfolio publié en mars 2020 (#41) dans lequel l’artiste argentin évoquait la question de l’immigration à travers différents travaux (Paraiso, Shoebox, Drowned, Heartbeat…) qui faisaient écho, chacun à sa manière, à son parcours personnel. Pour lui, la surface photographique est à considérer comme un champ d’expérimentation. En témoignent ses premières « photographies sans appareil » qu’il réalisait à l’aide de collage d’images découpées dans des magazines. « Cette expérience m’a vraiment marqué, se souvient-il. Mon approche a toujours consisté à essayer d’éviter la souffrance ou la violence dans mes images, nous avons l’actualité pour ça. Depuis que je suis étudiant, j’ai toujours été inspiré par des gens comme Walid Raad ou Paul Graham lorsque je visitais une galerie… Ils nous ont montré des choses parfois terribles d’une manière magnifique. C’est le point de départ pour créer un dialogue avec le spectateur. » 

Pour Chemical Reaction, l’idée était de représenter la réaction chimique, comment le poison agit sur l’environnement et le corps humain. « Au début, j’ai essayé d’utiliser des agents externes (poison, acide, etc.), mais j’ai réalisé que pour avoir un impact similaire, il fallait que ce soit quelque chose qui affecte le processus d’impression de l’intérieur. J’ai essayé de nombreux types de papier sur l’imprimante à jet d’encre jusqu’à ce que je constate que le polypropylène se “battait” avec l’encre lors du processus d’impression, presque comme le corps humain avec les agents neurotoxiques. Il en résultait des dommages à l’image, certains plus subtils que d’autres selon la consistance ou la couleur du papier. Dans certains cas, l’image a complètement disparu devant mes yeux en quelques minutes », explique l’auteur. Tel un alchimiste, son travail « donne de l’espace au processus accidentel ». Dès que les photos sortent de l’imprimante, il les place sur une boîte à lumière et les photographie avant que l’image soit totalement rongée. Composée à partir d’images disponibles en ligne, comme celle de l’avion de l’armée américaine pulvérisant l’agent orange au Vietnam, Chemical Reaction fait aussi appel à la mémoire collective en mobilisant des photos connues du public. 

 

Chemical Reaction sera exposé cet été à partir du 4 août à la Village Book Gallery à Manchester. 

 

Cet article est à retrouver dans Fisheye #54, disponible ici

© Seba Kurtis

 

© Seba Kurtis© Seba Kurtis

© Seba Kurtis© Seba Kurtis

 

© Seba Kurtis© Seba Kurtis

 

© Seba Kurtis© Seba Kurtis

© Seba Kurtis© Seba Kurtis

© Seba Kurtis

Explorez
Photoclimat 2025 : la photographie au service de l’environnement
© Juliette-Andréa Élie / Fondation Avril
Photoclimat 2025 : la photographie au service de l’environnement
Jusqu’au 12 octobre 2025, la 3e édition de la biennale Photoclimat prend ses quartiers à Paris. De la place de la Concorde à celle de...
27 septembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
L'engagement écologique et la photographie : la séance de rattrapage Focus
© Sophie Alyz
L’engagement écologique et la photographie : la séance de rattrapage Focus
Les photographes des épisodes de Focus sélectionnés ici s’emparent de leur médium pour raconter des récits d’engagement environnemental....
25 septembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Zone i 2025 : faire vivre les images au temps présent
© Martin Bogren
Zone i 2025 : faire vivre les images au temps présent
La 7e édition des Rencontres Image & Environnement de Zone i a eu lieu du 12 au 14 septembre 2025 à Thoré-la-Rochette, dans le...
24 septembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Samuel Bollendorff : comment alerter sur la crise écologique ?
#paradise - curateur : Samuel Bollendorff.
Samuel Bollendorff : comment alerter sur la crise écologique ?
Le festival de photojournalisme Visa pour l’image revient pour sa 37e édition jusqu'au 14 septembre 2025. Parmi les 26 expositions...
12 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Photoclimat 2025 : la photographie au service de l’environnement
© Juliette-Andréa Élie / Fondation Avril
Photoclimat 2025 : la photographie au service de l’environnement
Jusqu’au 12 octobre 2025, la 3e édition de la biennale Photoclimat prend ses quartiers à Paris. De la place de la Concorde à celle de...
27 septembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Valentin Derom : photographier le soin dans toute son ambivalence
© Valentin Derom
Valentin Derom : photographier le soin dans toute son ambivalence
Avec Support Systems, Valentin Derom explore les gestes de soin là où on ne les attend pas : dans les étables, aux côtés de son père...
26 septembre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
L'engagement écologique et la photographie : la séance de rattrapage Focus
© Sophie Alyz
L’engagement écologique et la photographie : la séance de rattrapage Focus
Les photographes des épisodes de Focus sélectionnés ici s’emparent de leur médium pour raconter des récits d’engagement environnemental....
25 septembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Faire de la lenteur une attention : Ils en avaient 16 de Léo d'Oriano
© Léo d'Oriano
Faire de la lenteur une attention : Ils en avaient 16 de Léo d’Oriano
Dans le cadre de la Grande commande pour le photojournalisme de la BNF, Léo d’Oriano a suivi, entre 2021 et 2022. Intitulée Ils en...
25 septembre 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche