Corps sauvages

29 mars 2018   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Corps sauvages

Libéré des carcans d’antan, le corps exulte et revendique
 sa symbiose avec la nature, l’environnement, l’univers. Retour à l’état sauvage, voyage à l’autre bout du monde
 ou dans les marges… nombreux sont les artistes qui définissent un nouveau rapport au corps dans le paysage contemporain. Cet article, rédigé par Camille Tallent, est à retrouver dans notre dernier numéro.

La publicité, la pornographie ou encore l’histoire de l’art ont façonné le corps à travers les âges et l’ont enfermé dans des carcans esthétiques et politiques dont la société a parfois du mal à se libérer. Pourtant, il y a un demi-siècle, la Beat Generation des années 1950, les événements de mai 1968, les contre-cultures des années 1960-1970 ont successivement donné un coup de pied dans la fourmilière du puritanisme et allaient inspirer les générations suivantes à coups de slogans et d’images puissantes encore ancrées dans les têtes… Nombre de photographes ont été marqués par la pulsion émancipatrice de cette époque charnière. Certains rejouent et dépassent cette image du corps libéré qui est affiliée à cette période de décloisonnement et de rébellion.

Liberté, nudité, festivité

Fer de lance d’une génération Tumblr de jeunes artistes amoureux du grain argentique et de voyages, Thibault Lévêque semble s’inscrire dans ce courant de liberté. Ses camarades et lui – tous à poil et en santiags – jouent les bad boys sur des routes désertiques et ensoleillées. Sans la dramaturgie d’un Larry Clark, Thibault, à presque 30 ans, capture au gré de ses pérégrinations les moments de pause et d’action de sa course folle contre la routine, la sédentarité et le consumérisme. En toute conscience, il emprunte aux années 1970 et au film Easy Rider le style, l’attitude clichée, mais également l’esthétique poussiéreuse de la pellicule. Aussi bien dans des paysages grandiloquents que dans des bourgades déglinguées, ses personnages jouent les Robinsons. Comme pour mettre en images l’expression « vivre d’amour et d’eau fraîche », Thibault Lévêque récolte sans pudeur des instants d’euphorie alcoolisée, de communion et d’insouciance, pris sur le vif avec des vieux point-and- shoot, appareils photo compacts. Une esthétique surannée qui évoque instantanément l’hédonisme insouciant proclamé par les hordes de corps affranchis de Woodstock. Le jeune photographe nous invite à suivre les aventures d’une communauté fraternelle (avec Théo Gosselin et Maud Chalard, entre autres) qui aime faire la fête et voyager là où il fait chaud. Le corps s’inscrit dans une dimension naturelle et primitive qui véhicule avant tout le mépris des conventions et l’envie de mettre à mal la pudibonderie de la société actuelle. Ses images débordantes de fantasmes et de mises en scène oscillent entre jeu et authenticité.

© Thibault Lévêque

© Thibault Lévêque

Cette théâtralité d’une photographie en quête d’ingénuité et de jouvence éternelle est au cœur de la pratique du New-Yorkais Ryan McGinley, 40 ans, déjà largement passé à la postérité malgré son jeune âge. Précurseur de cette imagerie radieuse du voyage bohème, tout un pan de son œuvre offre un lexique de la gestuelle et de la dynamique des corps. Cette énergie sauvage passe chez McGinley par la mise en scène de saynètes euphoriques où des modèles savamment choisis par une agence de casting se déchaînent nus dans la nature immense. C’est ainsi que ses acteurs se retrouvent à sauter sur des trampolines et à errer dans les airs avec l’élan mystique et céleste d’un Terrence Malick. La liberté, Ryan McGinley la construit de toutes pièces, mais les stratagèmes (fumigènes, canons à neige, feux d’artifice, etc.) ne sont là que pour mieux servir les pulsions positives de ces jeunes qui courent, roulent et jouent dans une nature avec laquelle ils semblent être en symbiose. McGinley prend le contre- pied du réalisme cru de ses prédécesseurs – Nan Goldin, par exemple – et des drames liés au terrorisme qui ont marqué les États-Unis de 1990 et 2000, pour mieux délivrer une fable utopiste sur le corps jeune et sublimé. Une formule d’images archétypales qui fait maintenant vendre, et a été assimilée et reprise par la publicité. Ryan McGinley lui-même a participé à cette démocratisation commerciale en faisant enfiler des jeans à ses modèles pour la célèbre marque Levi’s en 2009.

© Ryan McGinley

© Ryan McGinley

Si le voyage est symbole de liberté pour certains, il incarne également l’idée de la marge et de l’exclusion. Synonyme de perte de repères ou de quête initiatique, le vagabondage implique parfois une dimension plus dramatique, mais pas moins poétique. Avec la série A Period of Juvenile Prosperity réalisée entre 2006 et 2009, le photographe Mike Brodie révèle l’errance d’un groupe de jeunes sur les rails d’une Amérique charbonneuse et crasseuse. En immersion totale durant cinq ans, Mike Brodie s’est fait le témoin d’une jeunesse à la dérive. Il n’hésite pas à montrer dans toute leur réalité les corps sales et fatigués de ses compagnons de route, exacerbant ainsi le coût d’une telle liberté. Dans le sillon des hobos de la Grande Dépression qui parcouraient l’Amérique, cachés dans les trains de marchandises, il décrit une aventure qui dessine un désir sincère de marginalisation.

© Mike Brodie

© Mike Brodie

© SYNCHRODOGS

© SYNCHRODOGS

© Ryan McGinley© Ryan McGinley

© Ryan McGinley

© Thibault Lévêque

© Thibault Lévêque

© Théo Gosselin & Maud Chalard

© Théo Gosselin & Maud Chalard

L’intégralité de cet article est à retrouver dans Fisheye #29, en kiosque et disponible ici.

Explorez
Paris Photo 2025 : les incontournables de cette édition
3 of Cups, de la série This Happened To You, 2025 © Atong Atem, courtesy Mars Gallery
Paris Photo 2025 : les incontournables de cette édition
Pour son édition 2025, la foire internationale Paris Photo transforme une nouvelle fois le Grand Palais en boulevard incontournable du 8e...
14 novembre 2025   •  
Yves Samuel : Objets en résistance
© Yves Samuel courtesy CLAIRbyKhan
Yves Samuel : Objets en résistance
Dix ans après les attentats perpétrés à Paris en novembre 2015, le photographe Yves Samuel publie aux Éditions Fisheye un livre tout en...
13 novembre 2025   •  
Écrit par Eric Karsenty
OPPO x Fisheye : les visions parisiennes d’Emma Birski et Marvin Bonheur 
© Emma Birski
OPPO x Fisheye : les visions parisiennes d’Emma Birski et Marvin Bonheur 
Les 17 et 18 novembre, la Fisheye Gallery accueille l’exposition Paris Non Stop, curaté par Ernicreative et Fisheye, née de la rencontre...
12 novembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Sandra Eleta, les visages du monde invisible
© Sandra Eleta
Sandra Eleta, les visages du monde invisible
À la Galerie Rouge, jusqu'au 6 décembre 2025, l’exposition de Sandra Eleta révèle un univers où la photographie dépasse le simple...
12 novembre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Nos derniers articles
Voir tous les articles
16 expositions photographiques à découvrir en novembre 2025
Topside III, de la série L’île naufragée, 2022 © Richard Pak
16 expositions photographiques à découvrir en novembre 2025
Pour occuper les journées d'automne, la rédaction de Fisheye a sélectionné une série d'événements photographiques à découvrir à Paris et...
Il y a 6 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
5 coups de cœur qui sondent la mémoire
© Madalena Georgatou
5 coups de cœur qui sondent la mémoire
Tous les lundis, nous partageons les projets de deux photographes qui ont retenu notre attention dans nos coups de cœur. Cette semaine...
Il y a 11 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les images de la semaine du 10 novembre 2025 : ébullition photographique 
Berceau de Moïse (Reine de la nuit), Guyane, 2025 © Sylvie Bonnot, courtesy Hangar Gallery, Brussels
Les images de la semaine du 10 novembre 2025 : ébullition photographique 
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les événements photographiques abondent à Paris. Voici un tour d’horizon des festivals, foires et...
16 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
5 événements photo à découvrir ce week-end
© Boby
5 événements photo à découvrir ce week-end
Ça y est, le week-end est là. Si vous prévoyez une sortie culturelle, mais ne savez pas encore où aller, voici cinq événements...
15 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet