Michaël Serfaty, gynécologue et photographe de 63 ans, nous ouvre les pages d’un livre poignant dont les femmes sont les héroïnes. Dans Je vous écris avec la chair des mots, l’artiste-médecin crie la souffrance qu’endurent au quotidien ses patientes devenues muses. Cet article est à retrouver en intégralité dans notre dernier numéro.
« Je me languis d’être enfin seule dans mon corps. » C’est ainsi que tout a commencé. Cette phrase ou plutôt cette « gifle » a lancé Michaël Serfaty dans un projet qui s’étalera sur plus de cinq ans. « Le cahier est devenu un livre. Énorme, monstrueux (…). Et puis une valise, de carton, de brocante », précise le photographe-gynécologue dans son ouvrage Je vous écris avec la chaire de mes mots. Pendant près de deux ans, il écoute et retranscrit la douleur des femmes de passage dans son cabinet. S’en sont suivies plusieurs années de prises de vue et la confection d’un carnet. Souvent considéré dans le milieu médical comme étant « un curieux, un bizarre, un différent », Michaël Serfaty n’a que faire des opinions de ses pairs. Aujourd’hui, il n’a plus rien à prouver et, après trente ans d’exercice – il a démarré la photographie en même temps que ses études de médecine –, il assume sa double casquette et son tempérament qu’il qualifie de féminin. « J’aime prendre le temps d’échanger plutôt que d’être strictement dans l’action, l’hormone et la chirurgie », confie ce photographe atypique. Une habitude qui remonte sans doute à l’enfance : « Ma mère est la première femme que j’ai écoutée. Je me revois à 6 ans, dans la cuisine, seul confident de sa solitude. Je sentais bien la détresse, et une certaine lourdeur, tristesse. Il y a les mots et l’émotion. L’émotion qui reste. J’accueillais seulement ses paroles, et pourtant une sorte de responsabilité est apparue. »
© Michaël Serfaty / agence révélateur
Froissement de colère
Cet après-midi-là, au sein de l’hôtel de Sauroy, à Paris, où Michaël Serfaty exposait son travail durant une dizaine de jours, ce dernier est revenu sur son processus de création. Car avant de mettre au monde cette relique, il a essayé et a raté. « Les pages de ma vie sont vides. / Si au moins je pouvais m’aimer / Je ne vois pas qui je suis / Je suis trop nombreuse. » Comment mettre en image de telles confidences ? Quel est le juste équilibre entre l’écoute et la création ? L’évidence surgit alors : l’image doit être humble, et doit servir les mots. Autrement dit, la phrase « ÉTAIT l’image. La phrase devenait un cri, la photographie une marge, un prétexte, un écho, explique celui qui ne prétend être ni un théoricien ni un activiste. Je voyais un ruissellement d’impatience. Un froissement de colère. Un corps envahi, colonisé. Trop, trop souvent, trop longtemps. Je suis confronté au féminin et à sa puissance tous les jours. Ma légitimité réside dans ce que j’entends, et j’ai ressenti le besoin de dire, de témoigner ce qu’il se passe dans les corps, comme dans les esprits. Le quotidien des femmes n’est pas assez exprimé. Elles-mêmes ne le confient que très peu. » Fin 2020, il partage ce poignant travail de collecte dans un ouvrage intitulé Je vous écris avec la chaire des mots, paru aux éditions Arnaud Bizalion. En parcourant cette forme de réplique du carnet originel, on découvre un artiste pluridisciplinaire maniant la photographie au même titre que la peinture, le collage ou la couture. Plus qu’illustrer les mots, il rend hommage à ses muses et crie leurs souffrances. Dans la lignée de son héroïne Dolorès Marat qui capturait des éléments non photographiables, Michaël Serfaty dit l’indicible.
« Je compte pour personne / Il veut tout contrôler, tout surveiller / J’ai l’impression d’être une marchandise / Ce corps étranger, c’est moi / La nuit, je m’appartiens / Je voudrais arriver à me quitter. » Chaque témoignage bouscule et renvoie à la réalité faite de problèmes de couple, de douleurs chroniques, d’infections répétitives, ou encore d’infertilité… « Chaque jour, mes patientes absorbent et digèrent tant bien que mal des phrases lapidaires ou des propos “humoristiques”. Et un jour, cela ressort. » La force de ce recueil tient surtout à cette capacité à dire l’universel. En anonymisant les témoignages, Michaël Serfaty s’adresse aux amies, épouses, sœurs, mères bien sûr, mais aussi à celles et ceux qui éprouvent des difficultés à être. À celles et ceux qui tantôt combattent et tantôt abandonnent. Ce projet s’inscrit pleinement dans les mouvements de libération des corps des femmes, et atteste qu’il reste encore du chemin à parcourir en matière de liberté de parole. En témoignent les quelques visiteurs·rices mal à l’aise devant les compositions de l’auteur. Pourquoi est-il si délicat d’exprimer les émotions ? Et encore pire, de les montrer ? Non seulement Michael Serfaty sublime la fragilité humaine, mais il donne l’alerte : il est grand temps de se réconcilier et d’écouter son être intérieur.
Je vous écris avec la chair des mots, Arnaud Bizalion éditeur, 38 €, 160 p. Accompagné du carnet Dialogues comportant des extraits de textes de Marie Darrieussecq.
Un projet à retrouver dans le cadre du Festival Phot’Aix qui aura lieu du 17 septembre 2022 au 30 octobre 2022.
© Michaël Serfaty / agence révélateur