La Monnaie de Paris rouvre après six ans de travaux et accueille l’exposition Women House, qui pose la question de la rencontre de deux notions : le genre (le féminin) et un espace (le domestique). Pour y répondre, 39 artistes femmes proposent leur point de vue en photo, vidéo, peinture, sculpture… La maison, refuge, prison, ou espace de création ? Cet article fait partie de notre dernier numéro.
En 1929, Virginia Woolf encourageait les femmes à trouver une chambre qu’elles puissent « fermer à clé sans être dérangées » dans son essai Une chambre à soi (A Room of One’s Own). Cet appel, qui marque le point de départ de l’exposition Women House à la Monnaie de Paris, est celui d’une révolution intime et domestique. Celui d’une femme qui appelle toutes les autres à redéfinir les murs de leur foyer pour les transformer en espace de travail, en lieu de création. Un espace dans lequel elles ne seront plus reléguées, corsetées, mais un lieu « à soi », qu’elles se seront réapproprié. Pour créer, s’élever. On n’aurait pas pu trouver de meilleur point de départ pour cette exposition exceptionnelle d’artistes femmes. Toutes, à leur manière, ont suivi l’appel de Virginia Woolf. Elles ont détourné, recréé, moulé, détruit, associé, revisité, réinventé l’espace dans lequel elles sont restées – et restent encore – calfeutrées. « Les femmes sont restées assises à l’intérieur de leur maison pendant des millions d’années, si bien qu’à présent, les murs mêmes sont imprégnés de leur force créatrice », continuait Virginia Woolf dans Une chambre à soi. L’exposition part donc de ce cri et se poursuit de manière thématique jusqu’à des oeuvres récentes produites par une jeune génération d’artistes femmes, en passant par les années 1970, moment où les artistes femmes se rebellent contre la privation d’espace réel – d’exposition, de travail – et symbolique de reconnaissance.
A-Z Escape Vehicle Owned and Customized by Bob Shiffler, 1996 © Andrea Zittel, courtesy Sadie Coles HQ, London
Le corps, l’intime et l’espace qu’il habite
Une exposition de femmes autour d’une même thématique féminine ? Au départ, cela contrarie Camille Morineau, directrice des expositions et des collections à la Monnaie de Paris, et co-commissaire de Women House. En général, elle ne croit pas « à l’existence d’un art féminin. Il n’y a pas de “sujet pour les femmes artistes” : l’artiste crée, et ne fait pas un travail genré », explique-t-elle. Mais ici, c’est l’exception qui confirme la règle. « Le rapport entre le corps, l’intime et l’espace qu’il habite, c’est une thématique traitée par les femmes. Une exception qui s’explique aisément par le fait qu’elles ont toujours été renvoyées à leur espace domestique, à ce lieu fermé, et donc à leur enfermement. »
Camille Morineau aime comparer son travail à celui d’un détective qui, à terme, accumule assez d’indices et de preuves pour confirmer une piste. « Il a fallu deux ans, et suffisamment de “preuves” pour que je puisse dire : oui, il s’agit bien d’un sujet traité par des artistes femmes de manière spécifique. Oui, c’est une thématique commune à énormément d’artistes femmes du XXe siècle. »
Si la thématique est commune, les huit chapitres de l’exposition reflètent la complexité des points de vue sur le sujet : ils ne sont pas seulement féministes (Desperate Housewives et ses femmes aux gestes répétitifs emmurées dans leur foyer), mais aussi poétiques (Une Chambre à soi, chapitre sur l’intérieur comme lieu inspirant, le foyer-laboratoire), politiques (Mobile-Homes, sur le nomadisme et l’exil), ou nostalgiques (Maisons de poupées, ces prisons miniatures offertes aux petites filles, ici détournées).
Martha Rosler. Woman with Vacuum, or Vacuuming Pop Art, de la série : Body Beautiful, or Beauty Knows No Pain, 1966-72.
On découvrira les « femmes-maisons », associations formelles entre le corps féminin et l’architecture, notamment à travers les sculptures de Louise Bourgeois de femmes dévorées par le foyer domestique, dont elles sont nourricières et soutiens. On explore avec ces artistes les limites de leur espace, physique et psychologique, avec notamment les images de l’Autrichienne Birgit Jürgenssen, pionnière de la mise en scène de soi qui se photographie dans les années 1970 déguisée en femme bourgeoise s’appuyant sur une vitre sur laquelle elle inscrit « Ich môchte hier raus ! » (« Je veux sortir d’ici ! »). On se rebelle avec elles contre les espaces étriqués, claustrophobiques ; on suffoque avec elles dans les maisons aux vitres obstruées et noires de la Britannique Rachel Whiteread et de la Suisse Heidi Bucher ; et on jubile avec elles quand les cloisons tombent, comme dans la vidéo de l’Italienne Monica Bonvicini, qui filme des coups de marteau dans les murs.
Women House
Jusqu’au 28 janvier 2018
à la Monnaie de Paris 11, quai de Conti
L’intégralité de cet article est à retrouver dans Fisheye #27, en kiosque et disponible sur Relay.com.
Image d’ouverture © Birgit Jurgenssen. Hausfrauen – Küchenschürze (Housewives’ Kitchen) Apron, 1975/2003.